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Les chasseurs de nuit sont tout simplement des braconniers. Ils sont très nombreux dans le pays et se permettent de grandes témérités. On les a vus, réunis au nombre de cinquante ou soixante, très bien armés et le visage noirci, — quelques-uns avec des vêtemens de femmes, d’autres en costumes de diables, tous enfin sous les travestissemens les plus bizarres et défiant le regard de l’espion le plus subtil, — organiser de grandes chasses qu’aucun garde-forêt n’aurait osé interrompre. Chaque nuit, je suis exposé à recevoir leur visite. Ne peuvent-ils trouver fort gai de renverser sens dessus dessous la boîte où je dors ? Ne serait-il vraiment pas très amusant, par quelque belle nuit bien sèche, de mettre le feu à mon toit ? Comme flamberait bien cette toile enduite de goudron ! Une volée de gros plomb dans une de mes fenêtres pourrait aussi passer pour une excellente plaisanterie, dont l’auteur se donnerait fort aisément le plaisir de garder l’anonyme.

Ces chances plus ou moins agréables constituent le revers de ma célébrité, qui commence à gagner du terrain. Dans un rayon que j’évalue à quatorze milles, ma hutte est devenue un véritable centre d’attraction. Il vient énormément de femmes et d’enfans ; les visiteurs mâles sont en moins grand nombre, mais plus ennuyeux et plus impertinens. Derrière mes vitres à hauteur d’homme, je suis exactement dans la position où j’ai vu maint animal de ménagerie, et j’ai de plus, pour aggraver cette situation légèrement humiliante, l’intelligence complète de ce qui se dit à mon sujet. Aussi puis-je affirmer à mes lecteurs, et sans l’ombre d’exagération, qu’un ours brun, promené dans une foire de village, y est traité avec plus de courtoisie et s’y trouve en butte à moins d’outrages que je ne le suis, moi pauvre peintre, parmi ces clowns du Lancashire et du Yorkshire.

Il m’arrive parfois (dimanche dernier, sans remonter plus haut) de trouver autour de la hutte quarante ou cinquante curieux au retour de ma promenade dans les moors. Mon chien, qui devrait protester contre cette invasion de notre solitude commune, leur adresse de la queue un salut bénin. Je rentre : on se presse aux fenêtres. Les rideaux sont tirés, mais par l’interstice de l’un d’eux on peut entrevoir une portion de ma nuque. Cela suffit pour alimenter la curiosité de cette foule grossière. Mon repas terminé, je lève un à un, lentement, mes quatre rideaux. Douze nez pour le moins s’aplatissent à chaque vitre, et un grand cri de joie s’élève au moment où pour une seconde les regards du dehors ont pu pénétrer dans mon mystérieux abri. Les jeunes filles, escortées de leurs amoureux, viennent de tous côtés à ce rendez-vous qu’elles ont peut-être mis à la mode. Un de ces pastoureaux, que je félicitais sur la beauté des trois ou quatre bergères qu’il accompagnait, m’a riposté, — compliment