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ont subi l’influence de Harding, qui du reste, et jusqu’à un certain point, les mettait sur une bonne voie.

Viennent maintenant les imitateurs, parmi lesquels il y a de grandes distinctions à établir. Les uns, très populaires, reproduisent indifféremment ce que voit le premier spectateur venu, et sans se donner la peine ni de choisir ni de comprendre plus que ce premier venu ne se l’est donnée lui-même ; d’autres, — c’est le second degré, — admirateurs zélés de la nature et copistes très laborieux, très minutieux, — ne se distinguent des vrais chefs de file, des pré-raphaélites complets, que par l’absence de tout rapport intellectuel avec les sites qu’ils reproduisent sans en saisir l’intime valeur, les reliefs caractéristiques. Ébloui par l’abondance du détail et la finesse avec laquelle il est rendu, le public les prend aisément pour ce qu’ils croient être ; mais dans leurs œuvres d’où l’imagination est presque toujours absente, et qui, malgré toute la peine qu’elles ont coûtée, n’ont pas la valeur sympathique de l’imitation intelligente, de la reproduction vraiment fidèle, le peintre ne se révèle pas, car le peintre est poète à certain degré[1], le peintre est observateur profond, et ceux-ci ne sont ni l’un ni l’autre. Il faut les classer parmi les plus habiles ouvriers d’une manufacture supérieure.

Quant au véritable imitateur, il travaille d’après nature, mais tout autrement que ceux dont je viens de parler. Il veut rendre tout ce que la couleur peut transporter sur la toile ; mais il veut le faire sans immoler à de moindres résultats ceux qui doivent être regardés comme de première importance. Il veut le faire en s’arrêtant à ce point, si délicat à saisir, où l’imitation du détail, poussée au plus haut degré qu’elle puisse atteindre, veut être sévèrement contenue avant qu’elle n’ait compromis la vérité de l’ensemble. Si peu que vous franchissiez cette limite à peine sensible, votre œuvre est ruinée de fond en comble, car la fidélité outrée avec laquelle vous serez parvenu à rendre tel détail détruira l’harmonie de l’œuvre entière. Si d’autre part vous restez trop en-deçà de cette limite, vous n’avez pas encore acquis le mérite, la valeur d’un imitateur véritable. Une grande connaissance des ressources de l’art, une patience illimitée, un travail infini, telles sont les conditions requises pour ce genre de peinture…


Le soir où furent écrites ces lignes, j’étais étendu dans mon hamac, au sein des plus profondes ténèbres, quand un horrible hurlement vint retentir à mes oreilles, — je ne sais à quelle heure de

  1. « Peinture est une poésie muette, et poésie peinture parlante, » dit Plutarque dans le vieux français d’Amyot.