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l’œuvre singulière du paysagiste Turner, l’autre dans la personne d’un critique d’art remarquable par ses qualités d’écrivain, M. John Ruskin, le gradué d’Oxford. C’est en 1843, on le sait, qu’âgé de vingt-quatre ans à peine, ce champion résolu de l’art moderne publia le premier volume de ses Peintres, accueilli par ses confrères avec une hostilité méprisante, par le public avec un étonnement, une curiosité de bon augure. En 1851, et alors que sa réputation était déjà solidement établie, il prit en main la cause de Turner et des pré-raphaélites dans une série de lettres accompagnées tout d’abord d’un pamphlet remarquable, puis (en 1853) d’un cours de lectures professé à Edimbourg en l’honneur de l’architecture gothique, du pré-raphaélitisme et de son peintre favori.

Depuis lors, la jeune école a vu grossir ses rangs et augmenter son influence ; depuis lors aussi, elle a été encombrée, comme il arrive toujours, de médiocrités ambitieuses qui ont dénaturé, en l’exagérant, le principe novateur où elle puise sa raison d’être. Comme on le verra dans le cours de ces pages, empruntées au récit d’un voyage pittoresque dans les highlands, le pré-raphaélitisme en est à la période d’épuration, de classement, de triage. Il cherche à se dégager des élémens dissolvans, des énormités compromettantes. Il n’accepte plus sur parole tous les Cimabuë, tous les Giotto qui demandent à marcher sous l’attrayante bannière de l’interprétation individuelle. Il y a là une réaction naturelle dont M. Philip Hamerton, l’auteur du livre sur « un campement de peintre dans les hautes terres d’Ecosse, » s’est fait un des promoteurs les plus résolus, et dont nous le croyons à présent l’organe le plus spirituel.

Les tableaux de M. Hamerton nous sont inconnus. Ce n’est donc point d’après les travaux du peintre que nous pourrions assigner aux théories et aux jugemens critiques de l’écrivain une valeur plus ou moins considérable. Ici même d’ailleurs, le pré-raphaélitisme et ses adeptes ont été caractérisés et jugés, peut-être sans beaucoup de sympathie, mais avec une compétence irrécusable[1]. Nous n’avons point à y revenir directement, mais il nous paraît juste et nous ne croyons pas superflu de laisser un des jeunes novateurs prendre à son tour la parole. Mieux que tout autre, M. Hamerton a le droit de se faire écouter. Il est sincère dans ses croyances absolues. Il a un assez haut sentiment de la dignité de sa profession, et n’accepte pas le rôle insignifiant et subordonné que l’organisation sociale de l’Angleterre contemporaine semble assigner aux artistes. Son livre est d’un bout à l’autre, en ses pages les plus éloquentes, une protestation contre les préjugés aristocratiques ou politiques qui, renouvelés

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1860 et du 15 août 1861.