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très convenable. Les ondulations du sol sont douces. Les hauteurs d’eau augmentent peu à peu, puis diminuent, parce que l’on rencontre un banc à 25 mètres de profondeur environ. À la suite de ce bas-fond commence une descente graduelle de 4,000 mètres répartie sur 20 kilomètres, c’est-à-dire avec une pente insensible. Les fonds sont formés de sable ; les rochers que l’on trouve auprès du rivage sont des blocs arrondis qui ne peuvent être dangereux pour un câble. Cependant cette exploration laisse encore planer bien des doutes sur la véritable nature et la conformation réelle du sol de l’Océan. Aussi la Société royale de géographie s’est-elle saisie de la question. L’un de ses membres, le docteur Wallich, a prétendu que les travaux télégraphiques ne peuvent réussir qu’à condition d’étudier le sol sous-marin avec infiniment plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour. Suivant ce savant, il faudrait explorer complètement toute la distance de l’Irlande à Terre-Neuve au moyen de deux navires s’avançant parallèlement à 3 kilomètres l’un de l’autre et faisant des sondages à 8 kilomètres d’intervalle. Cette reconnaissance donnerait 700 cotes de sondage, occuperait deux bâtimens pendant cinq ou six mois ; mais il est indispensable de l’opérer avant que l’on se décide à dépenser encore une douzaine de millions pour une communication transatlantique.

Sans attendre la clôture de cette discussion plus théorique que pratique, une compagnie se forme pour reprendre l’œuvre avortée en 1858. Au lieu de diviser son capital en parts de 25,000 francs comme la première fois, elle émet des actions de 100 francs, qui seront à la portée de toutes les fortunes. Elle a déjà réuni, dit-on, plusieurs millions. Quoiqu’ils ne renoncent pas à l’espoir de servir à leurs actionnaires de gros dividendes, les promoteurs de l’affaire s’attachent surtout à lui donner l’apparence d’un grand intérêt national qui la distingue d’une spéculation ordinaire. « J’ai déjà, dit l’un d’eux, 1,400 livres sterling qui dorment au fond de l’Atlantique ; mais je ne puis ajouter qu’une chose, c’est que je vais en placer encore 500 de la même manière, et si chacun en faisait autant, l’entreprise réussirait. »

C’est assurément un spectacle curieux que l’activité avec laquelle nos voisins d’outre-Manche s’occupent de la télégraphie sous-marine. Les sociétés savantes et les meetings de négocians, les hommes politiques aussi bien que les ingénieurs et les marins, discutent les problèmes de cette grande industrie. Cette agitation est-elle sérieuse ? Sera-t-elle stérile ? On n’ose espérer un succès décisif, et néanmoins on ne peut croire à l’inutilité de tant d’efforts, car, lorsque l’opinion publique s’empare ardemment d’une question, c’est une loi du progrès social que le succès doit venir tôt ou tard.