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lac, et chaque pas de nos chevaux fait rejaillir sur nous une eau sale et glacée. Aussi saluons-nous avec enthousiasme la ville de Samsoun, ses rues étroites et boueuses, lès baraques de bois élevées à la suite des derniers incendies et où loge une partie de la population. Nous trouvons un abri à peu près convenable dans une petite maison que possède à Samsoun M. Imbert, un de nos amis d’Amassia, et dont un Arménien, son commis, nous fait les honneurs. Il y a un petit poêle que nous faisons chauffer à blanc, et que nous serions tentés d’embrasser.

Le lendemain, la mer était mauvaise, et un vent violent soufflait du large. Le bateau, qui aurait dû paraître le soir même de notre arrivée à Samsoun, ne se montre pas ; il y a plus de quinze jours qu’aucun steamer n’a pu toucher à Samsoun. La perspective d’un long séjour autour de ce poêle qui nous avait enchantés le premier soir n’a rien de séduisant. Nous étions d’ailleurs à bout de courage et de force, impatiens de renouer nos communications avec l’Europe et de rentrer dans la vie civilisée. Ce fut donc avec transport que nous vîmes le troisième jour le vent s’abattre, et poindre une fumée à l’entrée de la rade. C’était le paquebot des Messageries impériales venant de Trébizonde, la Mitidja. Nous nous hâtons de nous embarquer, et le vendredi 20 décembre, en nous réveillant, nous nous trouvions mouillés dans le Bosphore en face de Top-Hané. Le ciel était bas ; il commençait à pleuvoir. On ne peut imaginer combien perd au manque de soleil le panorama de Constantinople. Par ce jour d’hiver gris et terne, ces palais de planches avec leur couleur blafarde ont quelque chose de triste et de mesquin ; il faut, pour transfigurer ces masures, une éclatante lumière, ou, mieux encore, une de ces brumes d’argent dont s’enveloppe le Bosphore les matins d’été.

Le voyage avait été pénible. Pendant la nuit qui suivit notre départ de Sinope, nous avions eu un coup de vent furieux, qui, nous l’apprîmes plus tard, a fait périr dans la Mer-Noire un grand nombre de navires. Le capitaine a eu un moment de sérieuses inquiétudes. L’année précédente, en une semaine, les Messageries avaient perdu sur cette même côte deux de leurs meilleurs bâtimens. J’avais passé la nuit à me cramponner dans mon lit pour ne point être précipité, à chaque coup de roulis, hors de l’étroite couchette. Au point du jour, la force de la tempête ayant diminué, je montai sur le pont. Une centaine de Turcs l’occupaient, couchés sur les planches dans leurs couvertures qu’avait tout imbibées d’eau salée la tourmente de la nuit. Maintenant encore il pleuvait. Ces pauvres Turcs recevaient tranquillement la pluie, comme s’ils ne se fussent point aperçus qu’elle tombât. L’autre jour, me dit le médecin du bord, pendant que nous allions à Trébizonde les lames balayaient