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Les bezesteins, à Zileh, sont neufs et en bois. On n’en voit pas un seul en pierre et voûté, à la manière de ceux de Constantinople. Aussi, il y a dix ans, quelques jours avant l’ouverture de la foire, quand beaucoup de marchandises, sans être encore déballées, étaient déjà déposées dans les khans, presque tout le bazar a brûlé. Les pertes ont été immenses. Une part a été incendiée, une portion plus grande encore a été pillée par les mauvais sujets de la ville et des environs, accourus pour profiter du désastre. La police, qui devrait en un pareil moment exercer une surveillance des plus actives, est ici, comme presque partout en Turquie, d’une incroyable incurie. Pendant trois jours que j’ai passés à Zileh, je n’ai pas vu une patrouille parcourir les rues encombrées, où l’on coupe fort adroitement les bourses et où s’engagent des rixes fréquentes. Depuis une semaine que la foire avait commencé, plusieurs tentatives avaient déjà été faites pour incendier le bazar. On est d’ailleurs si habitué en Orient à l’absence de toute sécurité, qu’on n’en dormira pas moins tranquille les nuits suivantes, qu’on n’en viendra pas moins à la foire l’année prochaine. S’il se faisait en 1861, à la foire de Zileh, très peu de transactions, et si tout le monde se plaignait, la cause n’en était point là ; ce fâcheux état du marché s’expliquait par le malaisé universel, la rareté du numéraire, l’inquiétude que causait l’introduction du papier-monnaie dans toute l’étendue de l’empire avec cours forcé, annoncée pour le mois de mars 1862. Sous cette impression, tous ceux qui avaient un peu d’argent comptant, au lieu de le dépenser en achats, le gardaient précieusement. On n’achetait que l’indispensable. Chacun d’ailleurs resserrait son crédit. Les Aleppins vendaient ordinairement d’une foire à l’autre, ils livraient leurs marchandises contre billets à une année d’échéance ; en 1862, ils ont refusé de faire de pareilles conditions : ils ne vendent qu’au comptant, aussi ne vendent-ils presque rien.

C’est seulement à ces circonstances exceptionnelles qu’il faut attribuer le manque d’activité commerciale qu’on déplorait à Zileh en 1861. L’Asie-Mineure est d’ailleurs dans un état qui, pour bien des années encore, rend utiles ces marchés extraordinaires, assure le succès de ces foires qui chez nous diminuent chaque année d’importance. Les foires rendent des services et attirent une grande affluence là où les routes sont mauvaises et peu sûres, les relations entre les différens centres de production rares et difficiles. Dans ces pays, à certains momens, la prévision d’un gain assuré décide les marchands à transporter leurs denrées à des distances considérables, sur un point où ils sont certains de les placer avec avantage et de pouvoir acheter en retour ce qui manque chez eux. Alors les routes se couvrent de monde ; le gouvernement, qui en temps ordinaire ne gêne point l’industrie