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vallée. Toutes ces maisons, avec leurs toits de tuiles rouges, dominent non-seulement ces taillis de mûriers, toujours coupés et retenus dans leur essor par la serpe de l’émondeur, mais dépassent même de beaucoup les plus hauts de ces beaux arbres fruitiers dont Amassia est si fière. C’est un tableau qui nous paraît plus aimable encore, quand nous le comparons à ces déserts nus et pelés que nous traversons depuis Bey-Bazar, à ces villages à demi souterrains, sans relief et sans forme, qui se confondent presque avec le sol qui les porte.

À mesure qu’on approche d’Amassia, les montagnes se resserrent, la vallée devient une gorge de plus en plus étroite et profonde. À une heure de la ville, on traverse le Ieschil-Irmak sur un pont de pierre, et le sentier court ensuite, en tournant avec le fleuve, entre la naissance du roc et la rivière, toute bordée de jardins et de plantations. À l’un des détours du chemin, on découvre tout d’un coup Amassia, et c’est certainement la ville la plus pittoresque que nous ayons encore rencontrée en Asie-Mineure. Elle s’étend ou plutôt elle s’allonge sur les deux rives du Ieschil-Irmak, au pied d’immenses murailles de rochers gris qui forment partout d’effrayans précipices et qui semblent menacer les maisons de leur chute. Sur la rive droite, la haute crête de la montagne s’écarte un peu du fleuve, et laisse ainsi place, par endroits, à des pentes moins raides, quoique très rapides encore, où s’étagent en bas les maisons de la ville, et qu’occupent plus haut des vignes semées de maisonnettes. C’est là qu’on va prendre le frais pendant les grandes chaleurs de l’été. Sur la rive gauche au contraire, le pic à deux têtes qui porte le vieux château démantelé et sa quintuple enceinte baigne son pied dans la rivière ; seulement une étroite langue de terre, formée sans doute par les éboulemens de tant de siècles, porte comme une mince frangé d’habitations serrées entre la montagne et les eaux vertes du fleuve. Vers la base de ce pic et sur la face qui regarde la ville, une saillie du rocher dessine au-dessus des toits de ce quartier comme une large console où des murs de construction hellénique indiquent encore l’emplacement de l’ancien palais des rois de Pont. Plus haut s’ouvrent dans le flanc de la montagne de grands tombeaux, d’une belle et singulière ordonnance, dessinés à l’œil par la large bande creuse qui les entoure et qui les isole en tout sens de la masse du rocher, auquel ils ne tiennent que par la base. C’étaient, Strabon nous le dit expressément et il n’y a point à s’y tromper, les tombeaux des rois. Pour ces princes, de leur demeure d’un jour à celle où ils espéraient reposer pendant des siècles, le chemin n’était pas long.

Quand on pénètre dans la ville, les détails ne sont pas moins curieux