Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux nations : déjà les premiers assaillans sont sur les murailles lorsque l’amiral Protet tombe mortellement frappé d’une balle au cœur.

Certes il est beau pour un amiral de mourir sur la brèche, à la tête de ses matelots victorieux, il est beau d’avoir un pavillon criblé de boulets pour linceul et une ville prise d’assaut pour tombe ; mais dans le premier moment de stupeur officiers, soldats et marins, oubliant cette gloire qui fait l’immortalité, ne pensèrent qu’à l’immensité de la perte qu’ils venaient de faire. Aussi, lorsque le corps de l’amiral, porté par quelques hommes de sa garde, traversa lentement les réserves anglo-françaises, lorsque les clairons et les tambours eurent cessé leurs lugubres sonneries, dernier hommage rendu au chef, un silence solennel plana sur ces hommes naguère si animés. On entendait à peine quelques sanglots étouffés, les prières du missionnaire qui montaient au ciel avec l’âme du mort, et dans le lointain la voix grave du canon, qui semblait le saluer encore et le venger déjà. En un instant, la ville de Na-djo fut mise à feu et à sang. Cette rage de destruction venait chez tous de la profonde douleur qu’ils ressentaient : les rebelles tombèrent par milliers. C’était la première fois que les matelots manquaient à ces sentimens d’humanité qui leur font toujours épargner et soigner les vaincus après la victoire ; mais ils avaient à venger leur chef, et rien ne pouvait les arrêter.

M. de Kersauson, capitaine de vaisseau, chef d’état-major de l’amiral Protet, avait pris aussitôt le commandement de l’expédition. Deux jours après la prise de Na-djo, les alliés mettaient le siège devant Tsao-lin. La place formait un grand carré, fortifié à la chinoise. Elle regorgeait de défenseurs malgré le petit nombre de maisons qu’elle paraissait renfermer. Les préparatifs d’attaque contre la face de l’est commencèrent dès le 19 mai. Les ouvrages avancés furent successivement enlevés à la baïonnette par les alliés, qui s’y établirent fortement. Les canons de 30 furent, suivant l’habitude, débarqués pour faire brèche, les armstrong mis en batterie sur la digue pour ricocher les faces, l’artillerie légère mise en position devant les murailles pendant la nuit, et les canots armés en guerre s’avancèrent dans le canal de la porte de l’est jusqu’à une estacade qui fut détruite sous le feu de l’ennemi. Les ponts furent préparés et les échelles portées aux avant-postes. Le 20 au jour, la canonnade commença. Le tir des alliés, toujours terrible et concentré, éteignit le feu de l’ennemi, ouvrit en moins d’une heure et demie deux brèches praticables, et les colonnes d’assaut s’élancèrent sur les murailles garnies de 10,000 défenseurs. Une telle ardeur animait les troupes que les soldats, gagnant de vitesse les fuyards, arrivèrent à la muraille opposée à la brèche avant eux. La plupart des