Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y laissaient et celles que les impériaux devaient y mettre, Shang-haï était débloquée de ce côté. Les travaux des champs étaient repris partout avec la plus grande activité, et les craintes de famine diminuaient chaque jour, car il était encore temps de semer le riz. Les colonnes alliées se rembarquèrent le 11 mai, et allèrent se reposer pendant trente heures à Son-kiang.

Cette ville, si on se le rappelle, était la conquête et l’arsenal de Ward. Les jonques des alliés furent attachées, aussi serrées que possible, le long des rives des arroyos. Une nuée de soldats, tous joyeux de ce repos, commencèrent ces installations éphémères, ces cuisines en plein vent, ces gourbis, ces lessives, ces jeux, ces mille choses enfin qui font de tout bivouac un spectacle si pittoresque. Cette gaîté guerrière, qu’une courte halte fait naître en un instant, régnait d’un bout à l’autre de ce campement d’amphibies. Chacun put ainsi voir dans Son-kiang le changement que causent chez les Chinois la présence et l’autorité d’un Européen. Ce ne sont plus les mêmes hommes : il y a quelques jours, un bambou levé par un mousse les eût fait fuir ; maintenant on voyait sur leurs visages une certaine dignité à la place de cet air humble et faux qui distingue cette race opprimée entre toutes les autres. Ils avaient presque tous vu le feu, et si le danger ennoblit l’homme, il peut régénérer promptement tout un peuple ; aussi Ward était-il fier de son œuvre, et se plaisait-il à montrer ses officiers chinois criblés de blessures.

Les alliés parfaitement reposés, après avoir reçu les ravitaillemens et les munitions indispensables, s’embarquèrent dans leurs tentes flottantes et débouchèrent, le 15 mai, de Son-kiang pour entreprendre la campagne du Pou-tong.

Cette partie de la province de Shang-haï, comprise entre la mer et le Whampoa, semble une presqu’île d’une douzaine de lieues de large. Les nombreux arroyos qui partent du fleuve, après avoir arrosé le pays dans tous les sens, viennent, comme on le sait, aboutir tous à un grand canal c électeur, courant parallèlement au pied de la première des deux digues élevées le long du rivage autant pour s’opposer aux envahissemens de la mer que pour régulariser par des écluses tout cet ingénieux système hydraulique. Le long de cette digue s’élèvent les villes fortifiées de Tsao-lin, Wo-mié, Ne-wié et de Tse-soua, que les rebelles occupaient encore. Pour maintenir le cercle des opérations dans les limites convenues des quarante milles, le général et les amiraux résolurent de prendre le canal qui mène de Min-ho à Na-djo et à Tsao-lin comme base d’opérations. Dès que ces deux dernières villes seraient enlevées, on remonterait vers Woo-sung en prenant successivement les cinq places fortes. Les troupes marcheraient par la digue, le convoi par le canal collecteur, et les