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du côté de la ville, on voyait les mortiers et les grosses pièces anglaises en position ; à gauche, on apercevait les canons Armstrong ; vis-à-vis de la porte du sud, mais un peu loin, l’artillerie légère des alliés était en batterie, et derrière elle les colonnes d’assaut et les réserves. massées attendaient avec une fébrile impatience le signal d’avancer. Le feu s’ouvrit bientôt vivement de part et d’autre. Tsin-poo était comme entouré d’un cercle de boulets. L’honneur de la journée resta à la canonnière n° 12, dont les obus firent de prodigieux ravages. Pas un coup ne fut perdu : à chaque volée de son canon rayé, un cri de joie retentissait et un pan de mur roulait avec fracas dans les fossés. Quarante-deux obus suffirent pour faire trois énormes brèches. Les ponts, protégés par les tirailleurs, l’artillerie légère et les canots armés d’obusiers de 12 s’avancèrent et vinrent buter sur une estacade que sa solidité et la proximité de la place avaient empêché de démolir pendant la nuit, il fallut plus de vingt minutes d’efforts et d’audace pour que les matelots, dans l’eau jusqu’au cou, sous une grêle de balles, pussent faire une trouée permettant aux sampans de passer un à un. L’ennemi se sentait perdu, si cette dernière barrière était enlevée ; il réunissait tout son feu pour forcer cette poignée de braves à reculer, mais ils passèrent enfin : les colonnes se précipitèrent sur les ponts, s’engouffrèrent dans les brèches béantes ; une dernière lutte s’engagea, courte et acharnée, et Tsin-poo fut enlevé à la baïonnette.

Après cette rude victoire, la prise de Ning-po, annoncée aux amiraux sur le champ de bataille même, vint encore augmenter la joie de tous. Depuis quelque temps, des événemens d’une haute gravité faisaient pressentir l’imminence d’une lutte prochaine de ce côté entre les rebelles et les bâtimens de la petite station navale anglo-française. Les Taï-pings s’écartaient de plus en plus des conventions ; ils construisaient de formidables batteries dirigées contre nos établissemens, ils tiraient à balles sur les Européens du faubourg Malo sous prétexte de fêtes ou de fantasias ; ils frappaient de droits exorbitans notre commerce, ils exigeaient l’éloignement des bâtimens de guerre qui protégeaient seuls nos nationaux et nos missions, et menaçaient hautement d’employer la force pour nous faire quitter notre mouillage dès que la construction de leurs batteries serait achevée. Les forces alliées devant Ning-po, réduites à cinq navires des deux nations, étaient commandées par deux capitaines énergiques : le lieutenant de vaisseau Kenney, de la canonnière n°15, et le capitaine Dew, de l’Encounter. Si les travaux des rebelles continuaient encore quelques jours seulement, la position de ces deux officiers devenait des plus critiques. Ils étaient exposés à être broyés sans pouvoir compter sur aucun secours des amiraux,