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capitaines des canonnières, les officiers de l’état-major-général sur de frêles baleinières, allaient d’un groupe à l’autre, ramassant les traînards, stimulant chacun, et imprimant à cette espèce de machine flottante aux mille articulations cet entrain et cette régularité si difficiles à obtenir sur l’eau. Deux jours suffirent à remonter le fleuve jusqu’à l’embouchure d’un arroyo assez profond où toute l’armée vint s’engouffrer. Le 8, toute cette escadre de huit cents jonques quittait le Whampoa et donnait dans le canal de Tsin-poo, Rien de pittoresque comme cet immense ruban de navires qui s’étendait sur plusieurs lieues de long. Mille cris étranges sortaient de ces barques chargées de monde et se remorquant les unes les autres, lorsqu’un accident, un échouage ou une maladresse arrêtait la marche de tout le convoi. Pendant ces deux mois de campagne, le vocabulaire anglo-français-chinois ne s’était guère enrichi que de quelques mots ; hors de là toute explication était inutile : aussi l’entente n’était pas toujours parfaite entre les Chinois qui godillaient derrière les bateaux et les matelots qui poussaient de fond à l’avant avec des perches de bambou. Cet instrument, d’une utilité incontestable, était à deux fins : un bout était destiné à diriger la marche, l’autre à stimuler le Chinois. À toutes les observations que les officiers pouvaient faire sur cette manière un peu brusque de procéder, les matelots répondaient que c’était absolument nécessaire, et que les Chinois aimaient cela. D’ailleurs supprimez le bambou, et la Chine s’arrête.

De toutes les canonnières alliées, la canonnière française n° 12 put seule entrer dans l’arroyo après un travail de géant. Elle fut pour ainsi dire portée, traînée, enlevée par les efforts réunis de son équipage et des corvées qui lui furent envoyées. Tous faisaient de son passage un véritable point d’amour-propre national. Elle cassa trois branches de son hélice sur les pierres de granit dont les rebelles avaient semé le fond du canal, et souvent les officiers et les matelots furent obligés de plonger pour attacher des cordes à ces énormes cailloux et les hisser à terre. Enfin le 10, après avoir triomphé de mille obstacles, un formidable hourra saluait son arrivée au mouillage du convoi, arrêté à 1,000 mètres de Tsin-poo devant la porte du sud. Les reconnaissances commencèrent tout de suite ; les arroyos furent sondés et les approches étudiées malgré les sorties et le feu continuel des Taï-pings. La place présentait une grande analogie avec celle de Kia-ding ; l’ennemi semblait seulement plus résolu, mieux commandé et bien armé.

Le 12 mai, le soleil levant éclaira une scène splendide : à 300 mètres, dans le canal, étaient mouillés la canonnière n° 12 et les deux sampans portant les obusiers de 30 ; sur la rive droite, si l’on regardait