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À une heure, les canons anglais, mis en position les premiers, avaient à peine lancé quelques boulets, qu’ils furent obligés de se taire pour ne pas tirer sur les Français. Voici ce qui s’était passé.-les matelots et les zéphyrs se battaient pour la première fois à côté les uns des autres ; chacun voulait montrer sa supériorité, et dans cette lutte d’amour-propre, vieille rivalité de courage entre les troupes de terre et celles de mer, tous, craignant d’arriver les derniers, partirent sans attendre le signal d’attaque, et se trouvèrent arrivés ensemble et pêle-mêle sur le talus extérieur du premier fossé. Le plus dangereux était fait, car, en voulant se dépasser les uns les autres, ils venaient de traverser 300 mètres sous une grêle de balles et de biscaïens. L’élan était donné ; ils franchissent les trois fossés, sautent aux embrasures, escaladent les parapets et poursuivent dans les rues l’ennemi, surpris d’un coup d’audace si inattendu. Ce fut une vraie bataille de zouaves ; mais on s’exposait ainsi à faire des pertes sérieuses dans une guerre où la vie d’un Européen valait celle de milliers de rebelles, et les chefs étaient comme mécontens de cette victoire, qui aurait pu causer la mort de tant de braves gens. Ce fut une véritable bonne fortune pour les matelots que la prise de Tseu-pou avec l’immense quantité de butin et de prisonniers que l’on y trouva. Chaque homme prit au moins un rebelle pour lui porter son sac et sa part de razzia ; mais bientôt la nuit vint surprendre toute cette immense colonne en route pour revenir à bord. Les coulies, soumis depuis le matin à une distribution régulière de coups de bambou, profitaient de l’obscurité pour s’éclipser dans les momens de halte. On entendait jurer dans toutes les langues contre ces malheureux, qui portaient en définitive tout le poids de la campagne sur leurs épaules. Ce retour avait tout le pittoresque d’une marche de bohémiens, et le désordre était à peu près complet lorsque la nuit vint encore augmenter les difficultés de la route. Heureusement une attaque à cette heure en rase campagne était peu probable de la part d’un ennemi nombreux, il est vrai, mais démoralisé par sa défaite du matin, et d’ailleurs on avait laissé une garnison dans la place. Enfin, à force de glisser, de tomber et de se relever, on finit par arriver, et à dix heures tous nos hommes étaient au complet sur la plage, autour de grands feux où cuisaient côte à côte les poules, les canards et les cochons faits prisonniers de guerre. Alors aussi commençaient les histoires interminables, les causeries longues et confuses qui marquent d’ordinaire la fin d’une journée de guerre bien remplie.

La première partie du plan de campagne contre les rebelles se trouvait accomplie avec succès par la chute de Tseu-pou. Dans un rayon de cinq lieues autour de Shang-haï, le pays était délivré des bandes qui le ravageaient. Les habitans revenaient enfin dans leurs