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dans les maisons démolies, et tout le monde fut assez mal. La nuit aurait pu être tranquille, malgré les craintes d’éboulement, sans le voisinage de quelques camps de troupes impériales réunies depuis peu de jours. L’on connaît le goût passionné de cette nation pour les pétards, les feux d’artifice et les coups de canon à poudre. L’officier chinois commandant les impériaux ne discontinua pas toute la nuit ses feux de bordées ; c’était alors leur seule manière d’user leurs munitions ; ils ne songeaient guère à s’en servir contre leurs ennemis, et déménageaient toujours avant d’être attaqués. À leur retour à Shang-haï, ils racontaient les assauts terribles qu’ils avaient soutenus, et demandaient qu’on remplaçât ces munitions si utilement épuisées.

Vers le matin du 4 avril, le rapport des éclaireurs annonça que les rebelles, au nombre de 20,000, n’avaient pas levé le camp, et qu’ils se préparaient à se défendre. Cette bonne nouvelle combla nos hommes de joie, et bien avant l’heure ils étaient debout, parés, guêtres. On partit au jour, et, après s’être dirigés vers le nord, les alliés arrivèrent par un petit sentier, où l’on passait à peine deux de front, devant les camps de Wan-ka-tse. Rien ne peut donner une idée de la fatigue que l’on éprouve dans ces marches lentes par une seule route, où l’on s’arrête des heures entières, attendant que les bagages, les pièces et les caissons aient franchi tous les obstacles, les canaux et les villages en ruine. Les Français eurent à se féliciter de la légèreté de leurs pièces de campagne, pesant à peine 100 kilos, pouvant toujours passer à dos d’homme sur les ponts en ruine ou sur des planches ; les Anglais au contraire étaient obligés de lancer leurs canons dans les arroyos pour les hisser ensuite à grand renfort de bras sur les berges opposées.

Enfin, à neuf heures du matin, les alliés étaient en bataille devant l’ennemi : l’artillerie en avant, à 400 mètres des retranchemens, les troupes derrière, les Chinois de Ward à gauche, les Français au milieu et les Anglais à droite. Les camps, construits depuis longtemps, présentaient un énorme développement : les rebelles avaient mis à profit toutes les facilités qu’offre ce terrain coupé d’arroyos et de rizières pour rendre leur position presque inexpugnable au moyen d’un épais rempart en terre, percé de meurtrières et couvert par une série de fossés et d’abatis de bambous. Tout enfin était prévu pour briser l’élan d’un assaut ; mais l’ennemi avait compté sans les ravages des canons rayés. Le feu s’ouvrit de part et d’autre avec une grande vivacité : les obus portèrent bientôt l’incendie dans les tentes, et les Taï-pings se débandèrent effrayés. Une colonne donna vivement l’assaut, une autre se lança au pas de course pour couper la retraite ; malheureusement les ponts étaient partout détruits, les planches que les alliés traînaient avec eux pour les remplacer