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pu rendre d’immenses services aux alliés ; mais son concours faisait même défaut aux populations en fuite, qu’elle laissait misérablement se noyer dansée fleuve, sans chercher à le leur faire traverser. Mouillées en petites escadrilles le long des rives, les jonques pesaient sur le pays tout autant que l’ennemi lui-même, et semblaient obéir à un plan de trahison conçu d’avance en reculant sans cesse vers Shang-haï, perdant sans combattre les meilleures positions, au lieu de se réunir en grandes masses et de présenter une barrière infranchissable à cette marée montante de rebelles qui marchaient au pillage d’une grande ville. Rien de navrant comme ce spectacle de tant d’argent et de forces gaspillés par l’incurie ou le mauvais vouloir du foutaï. Ces soldats auraient pu servir, comme éclaireurs, à harceler, à poursuivre l’ennemi, et les amiraux devaient au contraire prendre toutes les précautions possibles pour les empêcher de grossir, par leur trahison et l’abandon de leurs pièces, le nombre, l’audace et les forces des Taï-pings. Il n’y avait pas non plus à compter sur les populations des campagnes voisines de la ville, qui presque toutes s’étaient* réfugiées sur des jonques. Quoique sympathiques à leurs défenseurs, les Chinois des environs de Shang-haï pouvaient être comptés pour rien, tant ils étaient abrutis par la peur et par cette rapide succession d’événemens qui les faisaient passer chaque jour des mains des rebelles à celles des impériaux. Tiraillés dans tous les sens, ils étaient comme frappés de vertige ou de stupeur, et cédaient à la destinée, inertes comme ces galets que la vague roule et entre-choque sans cesse.

C’était donc avec de bien faibles ressources que les amiraux allaient entreprendre une lutte gigantesque contre les bandes innombrables des rebelles. Des conférences préparatoires eurent lieu, chez le consul d’Angleterre, entre les autorités chinoises et les chefs militaires et maritimes des alliés. Chacun y apporta sa part d’influence et ses plans, et l’on eut tout d’abord quelques difficultés à se comprendre dans le conseil de guerre, où chacun parlait une langue ignorée de son voisin et représentait des intérêts différens, qu’une raison de défense commune faisait oublier à cette heure. Les colonels des deux garnisons, ne pouvant consentir à faire sortir leurs troupes de Shang-haï, envoyèrent seulement quelques soldats de renfort à Zi-ka-wei. Woo-sung, à l’embouchure du Whampoa, dans le Yang-tse, que son admirable position maritime et nos grands magasins rendaient l’objet de toutes les convoitises des rebelles, fut gardé par l’Andromaque et une canonnière. Il fut convenu que les concessions anglaises et françaises seraient entourées d’une ceinture de fortifications en terre d’un relief et d’une profondeur de fossés suffisans pour prévenir toute surprise et déjouer un coup de main. Le