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tirées du fond même du pays. C’étaient les artilleurs chinois de Zi-ka-wei, les troupes du colonel américain Ward, les soldats et les marins impériaux. Dès le commencement même de l’expédition de Chine, pour la défense des avant-postes ou des murailles de la ville, et pour soulager la faible garnison anglo-française, on avait songé à enrôler des Chinois et à les exercer à l’européenne. Zi-ka-wei offrait de grandes ressources pour la formation d’un corps de réguliers indigènes : les environs étaient peuplés de chrétiens à peu près ruinés par la guerre, très attachés aux missionnaires, qui, par leur connaissance de la langue chinoise, devaient rendre de grands services comme interprètes. Deux officiers et quelques sous-officiers furent mis à la tête de cette nouvelle école militaire, espèce de pépinière appelée à jouer un grand rôle en Chine. En quelques mois, ces nouveaux soldats purent armer et servir quatre pièces d’artillerie de campagne et former une compagnie d’infanterie capable de les défendre. Leur costume rappelait celui des zouaves, leur tenue était irréprochable, et ils montraient une aptitude merveilleuse à tout comprendre et à tout imiter. Attentifs, sobres, patiens, craignant peu la fatigue, ils accomplissaient avec une précision extraordinaire toutes les manœuvres de l’artillerie légère. Bien souvent ils vinrent à Shang-haï pour être passés en revue par les autorités alliées et chinoises ; leurs sous-officiers les commandaient en français, avec cette pureté de prononciation que nous remarquons chez toutes les races asiatiques parlant notre langue, et les nombreux spectateurs, en se retirant après avoir vu ces hommes intelligens, robustes, sans préjugés religieux, n’hésitaient pas à les préférer aux chétifs soldats que l’Angleterre avait fait venir de l’Inde.

Depuis une dizaine d’années aussi, afin de s’opposer aux incursions des bandes de pillards et contenir la population flottante si nombreuse de Shang-haï, le taoutaï et le foutaï avaient formé un petit corps recruté parmi les Tagals de Manille et les déserteurs de toutes les nations. Plus tard, ils avaient complété leur système de défense en l’étendant et confié à des Européens le commandement de Chinois pris dans la ville. C’était une espèce de garde nationale mobile, à la tête de laquelle se trouvait le colonel américain Ward. Petit, maigre, vif et intelligent, Ward avait fait un peu de tout, jusqu’au jour où, venu à Shang-haï capitaine d’un navire, il l’avait quitté pour enlever aux rebelles, à la tête de quelques centaines d’hommes résolus, la grande ville de Son-kiang, à l’ouest et à douze lieues de nos concessions. Criblé de blessures dans ce brillant assaut, la bouche et la langue traversées par une balle, parlant à grand’peine un anglais inintelligible, il menait avec une énergie incroyable ses soldats, qui l’admiraient comme le plus brave d’entre eux. Il s’était fait en quelque sorte Chinois en se mariant dans le