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plus lumineux ou plus riches; en revanche, parmi les dessinateurs expressément spirituels, on n’en citerait guère qui eussent mieux aperçu et indiqué la physionomie de chaque personnage, le côté probable de chaque mouvement, le rôle exact de chaque détail.

Cette clairvoyance en matière de proportions et d’harmonie linéaire qu’atteste la Barrière de Clichy est au reste un des mérites distinctifs d’Horace Vernet, une des qualités le plus ordinairement sensibles dans ses œuvres. Il n’appartient pas à la famille des dessinateurs souverains, parce qu’il ne sait donner à l’expression de la forme ni l’accent d’une fierté magistrale, ni cette délicatesse intime résultant d’un sentiment exquis; il est de ceux toutefois qui se méprennent le moins sur les apparences générales des choses et qui en apprécient avec le plus de certitude la juste structure et les rapports. Jamais une figure peinte ou crayonnée par lui ne pèche ouvertement contre la vraisemblance anatomique, contre les lois de « l’ensemble, » pour nous servir d’un mot emprunté à la langue des ateliers; jamais l’image d’un mouvement, si violent qu’il soit, n’aboutit à la confusion des lignes, à la représentation de formes incorrectes ou impossibles. Dira-t-on qu’il n’y a là qu’un mérite négatif, que les plus savans dessinateurs commettent, volontairement ou non, des erreurs aussi éclatantes que les beautés qu’ils nous révèlent, qu’en un mot, les grands esprits ayant le privilège des grandes fautes, la marque d’un esprit médiocre est au contraire cette infaillibilité même dans l’imitation littérale? Soit : c’est quelque chose pourtant, c’est beaucoup que de réussir à interpréter d’un bout à l’autre un texte sans contre-sens, sans injure à la raison ni à la grammaire, et, traduction pour traduction, mieux vaut après tout cette fidélité, même un peu sèche, que l’abus des périphrases, des ornemens d’emprunt et des grands mots.

Bien que la Défense de la barrière de Clichy ait été peinte à une époque assez éloignée de nous (1820) pour qu’on puisse ranger ce tableau parmi ceux qui résument, dans la carrière de l’artiste, la période des débuts et des succès de jeunesse, il n’est cependant ni l’un des plus anciens par la date, ni le premier gage sérieux de talent donné par le fils de Carle Vernet. Nous ne parlons pas de certains essais antérieurs même à un apprentissage régulier. Entouré dès l’enfance d’exemples d’autant plus attrayans qu’on ne songeait pas encore à lui faire un devoir de les suivre, Horace, auprès de son père et de son aïeul maternel, Jean-Michel Moreau[1], s’était

  1. Outre Joseph Vernet, Carle et Moreau, célèbres tous trois à divers titres, Horace Vernet comptait parmi ses proches parens plusieurs artistes dont les noms ne sont pas tombés dans l’oubli : l’architecte Chalgrin entre autres, à qui l’on doit le projet primitif de l’arc de triomphe de l’Étoile, l’église de Saint-Philippe-du-Roule et le grand escalier du palais du Luxembourg, — le sculpteur Boizot, auteur de plusieurs bustes assez estimés et de cette Victoire en bronze doré qui surmonte la fontaine de la place du Châtelet, — et le peintre Callet, dont quelques tableaux, représentant des scènes mythologiques, sont conservés dans les galeries du Louvre.