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militaire qui livra Pékin aux alliés, l’hivernage des Anglo-Français à quelques lieues de cette capitale. On était au mois de décembre 1860 : l’escadre et le gros de l’armée venaient de partir ; l’hiver sévissait déjà, le Peï-ho était gelé ; une poignée de soldats et une faible flottille se trouvaient prises dans les glaces, presque sans communications avec le reste du monde. Les secours ou les ordres ne pouvaient venir que par la Sibérie ou par Tche-fou après quatorze jours de marche, par des froids prodigieux, à travers un pays inconnu, hérissé de montagnes et coupé de grandes rivières. Les deux représentai de France et d’Angleterre, MM. Bourboulon et Bruce, se trouvaient à Pékin, sans forces sous la main, en présence d’un gouvernement dont la mauvaise foi est proverbiale. Le prince Kong, après avoir rendu un grand service à son pays en concluant la paix, semblait avoir perdu une partie de son influence. L’empereur persistait à se tenir retiré à Géhol, malgré les clauses formelles des conventions et les promesses du premier ministre. Ainsi frustrés de leur droit de traiter les affaires auprès du souverain et craignant de retarder encore son retour en l’exposant à voir les barbares près de son palais, les représentans de la France et de l’Angleterre osaient à peine assurer l’accès de la capitale à tous les Européens.

Les faibles garnisons laissées dans le nord pour surveiller le paiement de l’indemnité de guerre étaient comme noyées au sein de cette immense population, dont on connaissait mal encore les mœurs, les opinions et la force ; mais, après les quelques jours donnés à l’installation, les craintes d’attaque ou de conflit entre nos soldats et la population se dissipèrent peu à peu. Cette inquiétude sourde et vague que devait inspirer à des chefs militaires une position peu sûre dans une grande ville ouverte, sorte de carrefour de toutes les routes de l’empire, s’évanouit elle-même promptement. Le peuple chinois, que les mandarins se plaisaient à représenter comme l’ennemi acharné des Européens, apparut alors sous son véritable jour, et les alliés apprirent à mieux juger cette race si forte, si laborieuse et si opprimée. D’ailleurs les graves événemens qui se passèrent dans le courant de l’année 1861 étaient bien faits pour servir d’enseignement, pour nous montrer surtout combien les Chinois sont peu accessibles aux passions politiques. La mort de l’empereur, l’avènement de son successeur, âgé de sept ans, la dissolution du premier conseil de régence, cassé par le prince Kong, qui en était exclu et qui en forma un second, la punition des trois mandarins auteurs des massacres de Tong-cheou, toutes ces nouvelles se succédèrent coup sur ’coup, sans que le peuple s’en émût et sortît de son apathie habituelle. Cette grande révolution de palais ne donna même lieu à aucune protestation de la part des vice-rois et des mandarins, qui tous acceptèrent les faits accomplis.