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À en juger par l’histoire du passé, on avait tout à redouter de la mauvaise foi des mandarins. Bien souvent déjà depuis des siècles, des missionnaires, des armées, des ambassadeurs qui avaient entrepris la tâche ingrate de pénétrer et de s’établir en Chine, avaient cru toucher au but de leurs désirs, de leurs travaux et de leurs victoires. Il semble malheureusement qu’il y ait au fond de cette mystérieuse cour de Pékin un esprit jaloux, surveillant d’un œil inquiet les progrès des Européens. Un jour un ordre sort tout à coup du palais impérial : « Vous n’irez pas plus loin ! » Alors on dirait qu’un typhon se déchaîne, engloutissant et broyant tout sur son passage : les persécutions religieuses recommencent, les ports sont fermés, les traités sont déchirés, et cette grande population se trouve une fois de plus séquestrée du reste du monde. Cette question chinoise, qui s’est déjà réveillée trois fois en trente ans, ne ressemble-t-elle pas au rocher de Sisyphe ? Aussi une vague inquiétude perçait dès la fin de 1860 dans tous les esprits malgré l’étonnante activité commerciale qui régnait dans les cinq ports. On vivait en quelque sorte au jour le jour, profitant des ressources créées par des victoires récentes, espérant aussi que le temps conjurerait des complications encore mal définies et dans tous les cas éloignées. C’est alors que les insurgés chinois, les Taï-pings, en se dirigeant vers la mer, à la recherche des grands débouchés, rencontrèrent les Européens. Pour la première fois, les alliés se trouvaient face à face avec ces rebelles qui venaient réclamer, les armes à la main, les seuls ports où nous puissions commercer d’après les traités. Le moment était critique, car la neutralité était impossible à garder. L’amiral Protet, en prenant parti pour les impériaux, rendit un service signalé à la civilisation aussi bien qu’à la Chine elle-même. Son heureuse intervention mit tout d’un coup les alliés au cœur des affaires chinoises sans qu’ils le cherchassent ; elle changea notre attitude en face du gouvernement de Pékin, et si l’on sait mettre à profit le prestige qu’elle nous a valu, elle peut avoir des résultats inespérés pour les intérêts de l’Europe dans l’extrême Orient. C’est le tableau de notre situation en Chine depuis le traité de Pékin, soit vis-à-vis du gouvernement impérial, soit vis-à-vis de la rébellion, que nous voudrions tracer ici, et rien ne prouvera mieux que l’histoire de ces deux ans la grave portée de la révolution qui tend à se produire dans nos relations avec la société chinoise.


I

Parmi les épisodes mémorables de cette rapide campagne de Chine, il faut compter assurément, après la vigoureuse opération