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de Neufchatel, de Zurich, de Glaris, de Saint-Gall, d’Appenzell, et, malgré le développement de la richesse, le caractère national a conservé les qualités solides de l’esprit campagnard : la prudence, l’économie, l’attachement aux anciennes coutumes. C’est ainsi que, sous les formes d’une démocratie radicale, se perpétue un esprit conservateur qui sert de lest à la république au milieu des changemens incessans que provoquent et facilitent les institutions des divers cantons.

Sans doute l’économie rurale en Suisse a encore beaucoup de progrès à faire, surtout dans l’exploitation des terres arables ; mais ici, comme dans toute l’Europe, l’attention se tourne de ce côté. Les autorités cantonales instituent des primes, organisent des concours, font des lois pour la conservation des forêts. Les associations agricoles, déjà au nombre de trente, se multiplient et deviennent plus actives. Les journaux d’agriculture, qui vont s’améliorant, vulgarisent les connaissances des pratiques rationnelles des autres pays, et préparent les réformes dont ils signalent la nécessité. Déjà trois écoles d’agriculture sont fondées : l’une à Altenryf, dans le canton de Fribourg, l’autre près de Zurich, la troisième à Mûri, en Argovie. Les traditions d’Hofwyl, consacrées par le nom de Fellenberg, et les établissemens où, d’après l’admirable méthode de Wehrli, on joint à l’instruction scolaire le travail des champs, font pénétrer jusque chez les petits propriétaires les principes d’une bonne culture appropriés aux circonstances locales. Dans un pays où l’habitant des campagnes non-seulement sait lire, mais lit effectivement, la routine cède plus facilement aux innovations heureuses, et les améliorations se généralisent parfois avec une rapidité inconnue ailleurs. Ici le capital ne manquera pas à l’agriculture, car il n’existe pas de grande ville centrale qui aspire en son sein toutes les richesses du pays, et l’on ne croit pas qu’il soit d’une bonne économie d’employer les épargnes disponibles à créer des arméniens formidables, à bâtir des palais, à organiser des fêtes, et à fomenter le luxe sous toutes ses formes. Si dans le domaine de l’industrie, malgré les obstacles en apparence insurmontables que lui opposaient la nature et la jalousie aveugle ou étroite de ses voisins, la Suisse a su conquérir les marchés lointains de l’Orient et de l’Amérique, il est à croire que la même activité, la même intelligence, appliquées à l’agriculture, y obtiendront des résultats aussi merveilleux et moins soumis aux vicissitudes du commerce étranger. Les progrès réalisés depuis vingt ans font bien augurer de ceux de l’avenir, et, grâce à la constitution de la propriété, l’augmentation du produit profitera à ceux qui l’auront fait naître.



EMILE DE LAVELEYE.