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mais ce nain de la famille des résineux ne livre guère qu’un peu de bois à brûler aux pâtres des alpes à moutons. À deux cents pieds plus bas commencent à se montrer deux espèces d’arbres très différens d’aspect, mais également utiles, l’arole (pinus cembro) et le mélèze (larix europœa). L’arole, aux rameaux d’un vert sombre, se mêle d’ordinaire aux mélèzes, dont les aiguilles, petites, fines, légères, et d’une teinte si douce, se renouvellent à chaque printemps. Ces deux arbres semblent préférer les Hautes croupes de formation cristalline, et pour les voir dans toute leur beauté il faut les chercher dans les vallées sauvages des Grisons, dans les gorges latérales de l’Engadine surtout. Là ils forment de vastes forêts où l’on peut errer des jours entiers, et où des races d’animaux, partout ailleurs éteintes, trouvent encore un dernier asile, entre autres le gigantesque coq des bois, le tétras, aux cris retentissans, qui le trahissent à l’époque des amours, et l’ours brun, qu’on vient traquer jusque dans ces solitudes pour en peupler les fosses de Berne. L’arole croît avec une lenteur extrême : pour former un beau fût, il faut cinq ou six siècles. Il porte un gros cône arrondi qui contient des amandes douces que se disputent les aigles et les jeunes pâtres. Son bois résineux, d’un grain très serré, est extrêmement précieux, et l’on s’en sert pour lambrisser les chambres, qu’il orne de ses belles teintes brunes et qu’il parfume d’une douce odeur d’aromate. Le mélèze est moins recherché pour les ouvrages de boiserie, mais il résiste admirablement aux intempéries de l’air, et dans les premières années il croît extrêmement vite. Fortement implanté par ses longues racines traçantes, il résiste à toute la violence des tempêtes sur les escarpemens les plus exposés, et jamais ses branches flexibles ne se brisent sous le poids des neiges. L’arole et le mélèze se plaisent au milieu des frimas d’un hiver de huit mois et dans l’air raréfié des hautes chaînes : à moins qu’on ne les y plante, ils ne descendent pas dans les vallées inférieures[1], et ils forment encore des massifs jusqu’à 6,200 pieds sur le versant nord et 7,000 pieds sur le versant sud. L’épicéa est le conifère le plus répandu. On le trouve à peu près partout, mais principalement sur les montagnes calcaires, qu’il orne de ses élégantes pyramides de rameaux superposés, d’un vert presque noir. Le sapin argenté avec ses aiguilles striées de

  1. Comme le mélèze réunit deux qualités qui d’ordinaire s’excluent, — une croissance rapide et un bois très durable, — on en a beaucoup planté, même dans des pays peu élevés, comme en Allemagne et en Belgique. Dans ces régions basses, il croît d’abord très vite, mais vers trente ans il se met en graines et cesse de se développer. Arbre mystérieux, dit avec raison je ne sais quel traité de sylviculture, on ne peut deviner ce qui lui convient. Brantôme, invoquant l’autorité de César, raconte que le bois ne mélèze est incombustible : il n’en est rien.