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exposés, quand le föhn souffle, tous les feux doivent être éteints ; on ne peut même cuire ses repas, et des gardes préposés par les communes font observer ces règlemens, dont personne ne conteste l’utilité.


II

Après les pâturages viennent les forêts, qui occupent une étendue presque aussi grande, 712,800 hectares, ce qui fait 18 pour 100 du territoire de la Suisse[1], et à peu près 1 hectare 1/2 par famille. Chose singulière et en même temps fâcheuse, ce ne sont point les cantons des montagnes qui sont les plus boisés. Ainsi ceux d’Uri, de Schwyz, Unterwalden, Tessin, Glaris, Berne, ont moins de forêts que ceux de Schaffhouse, Bâle, Soleure, Zurich, Argovie, Vaud et Thurgovie. Il est vrai qu’il faut déduire de la superficie des premiers la place occupée par les hautes chaînes où les arbres ne croissent plus ; mais d’un autre côté la part réservée à la charrue y est extrêmement réduite, et plus le pays est entrecoupé de ravins, de hauteurs abruptes et de rochers à pic, plus les vallées ont besoin de la protection que les massifs boisés peuvent seuls leur assurer. C’est surtout dans la composition des forêts qu’on peut suivre, d’étage en étage, l’influence de l’échelle des altitudes qui détermine presque uniquement en Suisse les différens modes d’exploitation des productions végétales. Dans ce pays de contrastes, où l’on rencontre dans les limites étroites de quelques lieues toutes les gradations de climat, depuis la douce température de l’Europe méridionale jusqu’aux glaces éternelles des régions arctiques, l’agronome doit souvent interroger le botaniste, et sans ses indications, il ne se ferait qu’une idée imparfaite des richesses que la nature offre ici aux besoins de l’homme.

Le premier arbre qu’on trouve immédiatement au-dessous de la région des neiges permanentes est le pin rampant (pinus mugho). À côté des rhododendrons, il étale le long du sol ses branches, en tout sens ramifiées, hérissées, entremêlées, qui recouvrent d’un épais manteau de verdure foncée les parois des montagnes où il croît. Il s’accroche dans les fentes des pierres, il se couche, il se tord, et n’élève enfin sa tige qu’à six ou huit pieds de hauteur. Il suit ordinairement la direction de la pente, et se projette ainsi au-dessus des précipices, qu’il borde d’un ourlet verdoyant. Ce serait une essence précieuse, si elle acquérait plus de développement ;

  1. La Suisse n’a donc de boisé que le sixième de son territoire, tandis que la Prusse en a le cinquième, l’Autriche un quart, la Bavière et le Wurtemberg un tiers ; mais elle a plus de forêts que l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Espagne ou la Belgique.