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parts qu’ils peuvent nourrir de vaches, et chacune de ces parts forme une propriété qu’on a la faculté de vendre ou de louer à son gré. Les coïntéressés se réunissent une fois par an pour nommer un directeur de l’alpe, alpenmeister, et pour régler les travaux qui sont à exécuter. Chaque alpe a son règlement, auquel les copropriétaires sont tenus de se soumettre. Ces sortes de biens sont de droit indivisibles, et en effet une exploitation commune paraît seule possible. Un usage en vigueur dans beaucoup de communes est celui qui interdit la jouissance des alpages au bétail étranger à la localité d’après le principe : « la montagne ne peut recevoir que ce qui vient de la vallée. » Sans doute un semblable règlement est une entravé à la libre disposition des biens, mais il est dicté par un principe sagement conservateur. Il faut nécessairement qu’il existe un certain équilibre entre l’étendue des hauts pâturages et celle des prairies inférieures. Si les habitans d’une commune étaient privés de la jouissance d’une partie de leurs alpes, ils devraient consacrer au pâturage d’été une proportion équivalente de leurs prés à faucher, et ils ne pourraient plus entretenir, même quantité de bétail. Les plus pauvres seraient obligés d’émigrer, et le village perdrait la moitié de sa population. Le régime actuel maintient une certaine égalité dans le partage des biens, rend l’extrême misère impossible et assure à chacun les moyens de vivre en travaillant, toutes conditions très favorables au maintien de la démocratie.

En parlant des pâturages des hautes alpes, on ne peut oublier un phénomène atmosphérique qui en rend seul l’exploitation possible. Il s’agit du vent du sud qu’on appelle föhn ; c’est le courant d’air chaud qui, prenant naissance sur les sables brûlans du Sahara, épouvante les caravanes en Afrique sous le nom de simoun, passe la Méditerranée, énerve, abat en passant les populations italiennes qui maudissent le sirocco, et, traversant les Alpes, débouche en Suisse, où les montagnards bénissent son arrivée. Le mot de föhn a la même racine que le nom latin Favonius. C’est toujours le vent du midi que chantait Horace :

Solvitur acris hiems grata vice veris et Favonî,…


et il produit encore le même effet. Au printemps, il fond les neiges avec une rapidité prodigieuse. Le long hiver en a entassé dans les vallées et sur les montagnes des masses énormes ; le föhn commence à se faire sentir ; il amène une chaleur de 25 à 30 degrés ; l’air s’adoucit, s’échauffe comme par enchantement, le vent tiède continue à souffler pendant quatre ou cinq jours de suite. L’atmosphère est alors d’une pureté admirable ; l’épaisse couche glacée qui