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gravi, pour se nourrir des plantes tardives et de celles qui ont donné une seconde pousse. Vers la mi-septembre, elles quittent les hauteurs et retournent dans les alpes de mai. Enfin elles profitent encore des derniers beaux jours de la saison pour manger le regain des prés à faucher, jusqu’à ce que l’hiver les confine définitivement dans l’étable, où elles trouvent le foin odorant que la prévoyance de leur maître a préparé pour elles pendant l’été. Ainsi se termine le cercle de ces migrations périodiques, dont le progrès de la végétation et la marche d’abord ascendante, puis descendante du soleil déterminent les étapes. Malheureusement le mauvais temps vient quelquefois en interrompre la succession régulière. Au milieu de la belle saison, un orage survient ; la température se refroidit subitement, et en plein mois de juillet ou d’août les pâturages élevés disparaissent sous une épaisse couche de neige. En vue de cette éventualité, les chalets sont toujours pourvus d’une petite provision de foin ; mais si les herbages ne sont pas bientôt dégagés de la couche intempestive de frimas qui les dérobe à la dent des troupeaux, il faut faire descendre ceux-ci en attendant que la neige fonde, et ce retour anticipé dans les prairies inférieures est toujours accompagné d’une certaine perte sur la récolte du foin et de beaucoup de fatigues pour les bergers.

Au-dessus des alpes à vaches s’élèvent, avons-nous dit, les alpes à moutons. Elles sont généralement situées sur des pentes si rapides, sur des escarpemens si dangereux, qu’on n’ose y aventurer les bêtes à cornes, malgré l’habitude qu’elles ont de gravir les montagnes. La neige n’abandonne ces pâturages qu’à la fin de juin ou au commencement de juillet. La flore y est déjà très réduite et n’acquiert qu’un faible développement. Toutes les plantes rampent le long du sol et semblent concentrer leur vitalité dans les grandes racines qu’elles enfoncent profondément en terre. Les espèces sont représentées par des variétés naines, et les arbres mêmes atteignent à peine la taille d’un pouce, comme le salix alpina, le betula nana, qui n’apparaît guère ailleurs que dans les tourbières de la Laponie, l’alnus viridis, l’aune nain qui tapisse les pentes jusqu’aux abords des neiges, ou le petit genévrier, juniperus nana, qui à la Bernina dépasse l’altitude de 8,000 pieds. C’est parmi les pierres tombées des sommets, dans les couloirs entre des rochers, sur des déclivités en apparence inabordables, que les moutons doivent chercher leur nourriture. Ils restent sur ces alpes jusqu’à ce que la neige les chasse vers la plaine. Généralement on ne leur construit pas d’abri, et dans les mauvais temps il faut qu’ils cherchent un refuge sous quelque roche qui surplombe ; le berger qui les garde a seul un petit chalet où il passe la nuit. Il doit parfois conduire son troupeau dans