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granitique de l’Aar, les riches herbages par lesquels on s’élève à Guttannen (3,450 pieds) sont fauchés pour la nourriture d’hiver. Ceux qu’on trouve plus haut, parmi les grands sapins, jusqu’au chalet de la Handeck (4,375 pieds), sont des voralpen, alpes de mai, fauchées aussi. Après les rochers désolés des Helleplaten, polis par les glaces antédiluviennes, les pâturages qu’on rencontre autour de l’hospice et jusqu’au pied du glacier de l’Aar (5,728 pieds) sont des alpes moyennes où paissent des vaches. Enfin ceux qui s’élèvent au-dessus du glacier de l’Aar (7,000 pieds), aux abords du Finster-Aarhorn, sont des hautes alpes pour les moutons. Il s’en faut néanmoins que ce soient là, dans toute la Suisse, les limites absolues des hauts pâturages. Dans l’Engadine et dans la vallée de Zermatt par exemple, les alpes inférieures sont à 6,000 pieds, les moyennes vont à 7,000, et les alpes à moutons à 8 ou 9,000 pieds, comme on peut le voir sur les contre-forts du Mont-Rose. On trouve même des pâturages à moutons complètement isolés au milieu des glaciers qui les environnent de toutes parts, semblables à des îles de fleurs au sein des vagues solidifiées d’une mer polaire. Ainsi, au centre du grand cirque de neige formé par les cimes multiples de la Bernina, les deux grands glaciers de Rosegg et de Cierva, qui en descendent, entourent complètement l’alpe Agagliouls, où les moutons n’arrivent qu’en traversant la surface perfide de ces grands fleuves pétrifiés. Près de Saas, dans le Valais, au pied des pics du Mischabel, le glacier de Fée enserre un pâturage du même genre, et on connaît assez le jardin, près de Chamouny, au fond de la Mer de Glace. Il y a plus encore : certains alpages sont d’un abord tellement difficile qu’il faut y porter les moutons à dos d’homme, ce qui inspirait à Saussure un véritable respect pour l’industrieuse énergie des montagnards. Ainsi des herbages montant par degrés depuis le fond des vallées jusqu’à la zone où toute végétation cesse, voilà ce que la nature offre à l’homme dans ces régions alpines. Comment donc a-t-il su en tirer parti ?

Les prés autour des demeures sont à peu près partout parfaitement traités. ils sont irrigués avec soin dès qu’on peut se procurer de l’eau, et ils reçoivent tout l’engrais que produit le bétail pendant l’hiver. En général, l’eau ne manque pas, car la pente considérable des rivières et des ruisseaux descendant des hauteurs permet de la conduire où l’on veut. Cependant en certains endroits l’irrigation a demandé de grands travaux que les habitans associés n’ont pas hésité à exécuter. Dans le Valais surtout, on peut en voir qui étonnent par leur hardiesse et leur étendue. C’est ainsi qu’on a amené une petite rivière depuis Rawyl jusqu’à Venthone, à une distance de cinq lieues, dans des conduits en bois, tantôt attachés au flanc