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vigoureuse et drue, parfois plantées d’arbres et souvent arrosées, que l’étranger admire près des villages. Les pâturages au contraire ne se trouvent que sur les hauteurs, depuis 4,000 jusqu’à 8,000 pieds, là où l’homme ne réside plus d’une manière permanente. Ces pâturages élevés, on les appelle alpages, comme on sait, ou alpen dans la Suisse allemande. On distingue trois espèces d’alpes, d’après la hauteur à laquelle elles sont situées. Les unes sont les basses alpes, les alpes de mai, qui s’étalent sur les croupes inférieures des montagnes et dans les endroits bien exposés au soleil. Ce sont celles où la neige disparaît d’abord au printemps : déjà au mois de mai une herbe précoce y croît, serrée et succulente. Elles nourrissent les troupeaux pendant un mois entier, avant leur départ pour la montagne. Plus haut commencent les alpes moyennes, que les bergers nomment kühalpen (alpes à vaches). Elles montent jusqu’à 6,000 pieds. Elles sont situées tantôt au fond de quelque étroite vallée dominée de tous côtés par des murailles perpendiculaires ou des crêtes dentelées, tantôt sur des terrasses au haut des escarpe-mens ou sur leurs rapides versans, tantôt dans le voisinage même des glaciers. C’est là qu’apparaît la flore particulière des hautes régions, toute une merveilleuse variété d’herbes et déplantes qui conservent la vie sous la haute couverture des neiges, et qui donnent une nourriture aromatique, forte et extrêmement favorable à la production d’un bon lait. Enfin, au-dessus de la zone moyenne s’élèvent les hautes alpes, les schaafalpen ou alpes à moutons : elles ne s’arrêtent qu’à la limite des neiges éternelles. Au bord des abîmes, sur les pentes à pic, à des hauteurs vertigineuses, la chèvre et le mouton vont disputer au chamois les derniers produits de la végétation.

Le voyageur qui visite la Suisse pendant les mois de la belle saison ne voit presque pas de troupeaux ; il cherche en vain ces belles vaches dont chacun parle : on lui dit qu’elles sont sur les alpes, et d’alpes il n’en traverse guère. C’est qu’en effet ces pacages élevés sont situés loin des villages, et les passages à travers les chaînes suivent généralement des gorges trop étroites pour en contenir. Lorsqu’on pénètre dans les solitudes des montagnes, parmi les hautes cimes, on entend tout à coup, au-dessus de soi, — à une hauteur si grande que d’énormes sapins paraissent des arbrisseaux, — le tintement argentin d’une clochette lointaine. C’est là qu’il faut monter pour rencontrer les troupeaux et pour voir se développer les pâturages alpestres dans toute leur beauté. Cependant, en franchissant certains cols, on peut voir se succéder ; en de petits échantillons il est vrai, les trois zones superposées. Ainsi, lorsque du lac de Brienz on se dirige vers le Valais par la Grimsel et qu’on remonte la vallée