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ne recule point devant l’ueberstossimg, ce qui veut dire qu’on met sur une alpe plus de bêtes qu’elle ne contient de stössen, plus par conséquent qu’elle ne peut convenablement en nourrir. Cette pratique fâcheuse accélère encore la destruction des pâturages, car le bétail, poussé par la faim, arrache les plantes ou les coupe au-dessous du collet, et détruit ainsi le gazon. La législature de certains cantons a donc cru devoir ajouter une sanction rénale aux anciens règlemens qui déterminent exactement le nombre d’animaux qu’on peut envoyer sur chaque alpage. L’homme doit se soumettre sans doute aux pertes que subit son domaine par suite du travail incessant, irrésistible de la nature ; mais il pourrait s’efforcer un peu plus d’en atténuer les funestes effets. Les bons avis à ce sujet ne manquent pas aux habitans des alpes : éviter d’imprudens déboisemens, enlever chaque année avec soin les pierres tombées des hauteurs, en faire des barrières pour arrêter les avalanches à leur origine ou des murs pour soutenir les terres qui s’éboulent, répandre plus également l’engrais recueilli dans les abris, assainir, drainer les parties humides et tourbeuses avec des tranchées remplies de pierrailles, s’abstenir de mettre sur les alpes plus de bétail qu’elles n’en peuvent nourrir, voilà ce que conseillent les personnes qui se sont spécialement occupées de la question. Comme en Suisse les recueils agricoles sont très répandus et que chacun sait lire, ces idées d’amélioration commencent à se répandre parmi les montagnards, et l’on remarque déjà qu’ils se mettent à les appliquer. Si donc les pâturages alpestres doivent diminuer encore par suite de l’inévitable ruine des hautes cimes, on peut espérer qu’à l’avenir l’œuvre de la destruction sera plus lente que dans le passé, parce qu’elle sera plus énergiquement combattue.

Jetons maintenant un coup d’œil sur la manière dont est dirigée la culture pastorale dans les montagnes. Les alpages forment le trait caractéristique de l’économie rurale de la Suisse et nourrissent, au moins pendant une partie de l’année, presque tous les animaux domestiques du pays, c’est-à-dire tous les moutons, toutes les chèvres, la moitié des chevaux et les trois quarts des bêtes à cornes, en tout plus d’un million et demi de têtes. Afin de faire vivre le nombreux bétail qui est la richesse presque unique des cantons montagneux, il faut de l’herbe l’été et du foin l’hiver, et beaucoup de foin, car la mauvaise saison dure longtemps, — de quatre à six mois, — et elle couvre la terre de plusieurs pieds de neige. Pour répondre aux besoins de toute l’année, les herbages sont divisés en deux catégories très distinctes : les prés à faucher et les pâturages alpestres. Les prés à faucher s’étendent toujours autour des habitations ; ce sont ces pelouses d’un vert d’émeraude, d’une végétation