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jouet des Barbares ! — Ces femmes sont restées pures malgré les attentats des hommes, et celles qui ont subi la violence n’ont point fait comme Lucrèce ; elles n’ont point ajouté au malheur qui les frappait le crime du suicide. »


On voit que la doctrine ne reculait pas devant les explications les plus délicates. La réponse était à chaque objection, et si les argumens pris en particulier se contredisaient souvent les uns les autres, l’ensemble n’en était pas moins d’une grandeur et d’une fermeté imposantes.

Augustin, à qui appartient ce plan de défense, ne touche qu’avec réserve et souvent avec charité aux terribles questions qui se soulèvent devant lui. On retrouve par intervalle dans ses pages dogmatiques, malgré la rigidité du système, le même homme à qui la prise de Rome arracha des larmes ; mais ses disciples n’imitent guère sa modération, et le livre de Paul Orose par exemple présente la même doctrine avec une dureté parfois révoltante : il verse comme à plaisir sur les victimes l’ironie et l’insulte. Il nous peint le sac de Rome comme un crible où fut vannée par la main d’Alaric la population de cette ville rebelle : « dans les églises, le bon grain sorti des greniers du Dieu vivant ; hors des églises, la paille et le fumier immonde, condamné d’avance, pour son incrédulité ou sa désobéissance, à l’extermination et à l’incendie. » L’altération des faits se joint souvent à l’insulte : « ces mêmes sénateurs que Sylla s’amusait à égorger et à proscrire, Alaric les a épargnés ; il n’en est mort qu’un seul, et encore celui-là, cherchant à se cacher, n’avait point été reconnu. » Ce fait, peu croyable d’abord, est formellement combattu par des témoignages contemporains. « Il suffisait de faire le signe de la croix ou de prononcer le nom de Jésus-Christ dans les rues ou dans les maisons pour être respecté des Barbares. » Mais ces vierges outragées dans des demeures ecclésiastiques, mais Marcella, Proba, Démétriade et tant d’autres chrétiennes n’avaient donc pas invoqué le nom qui pouvait les sauver ? Ces mensonges hardis furent admis plus tard comme des faits incontestables, parce qu’ils semblaient miraculeux. L’histoire du siège de Rome fut rédigée sur ce patron dans tous les livres chrétiens, lors même que le besoin de la défense religieuse cessa d’exister, et les modernes y ont puisé pour la plupart leurs inspirations et leurs jugemens.

Cet exposé m’était nécessaire pour compléter ce qui précède : c’est l’histoire des idées à côté de celle des faits. Je ne sache pas de tableau plus curieux ni d’enseignement plus utile que de pareils parallèles entre la réalité des événemens et le jugement qu’en ont pu porter de grands partis contemporains au point de vue de leur