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« On se répand en lamentations sur les cruautés des Goths ; mais Alaric a été le plus doux des vainqueurs, par la raison qu’il était chrétien. Il a respecté les églises, il a épargné les Romains réfugiés près des tombeaux des martyrs : où cela s’était-il vu auparavant ? — Il a tué en dehors des basiliques, mais il a tué des idolâtres : c’était leur lot. »


On voit comme les faits de l’histoire étaient pliés aux besoins de la doctrine : Alaric entrant dans Rome pour y faire la guerre aux idoles, les Goths devenus des missionnaires du Dieu des chrétiens, et la population romaine divisée en deux classes, l’une vouée à la destruction, l’autre préservée par un arrêt du ciel, voilà ce qu’il était étrange de soutenir au lendemain du sac de la ville, mais ce qui laissait planer l’épouvante en montrant aux païens l’extermination plutôt suspendue qu’arrêtée sur leurs têtes.

Ces argumens étaient destinés aux polythéistes. Il y en avait pour les tièdes du christianisme, pour les consciences faibles dont les événemens récens faisaient chanceler la foi.


« Il en est parmi nous qui disent : « Le corps de saint Pierre, celui de saint Paul, celui de saint Laurent et de tant d’autres martyrs sont enterrés à Rome, et cependant Rome est misérable, Rome est saccagée ! » — Qui dit cela ? Un chrétien ? Mais si tu es chrétien, réponds-toi à toi-même que le Seigneur l’a voulu. Tu n’as pas été appelé pour occuper la terre, mais pour gagner le ciel.

« Plusieurs des nôtres se sont trouvés confondus dans le désastre sans doute, mais ils savaient dire : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, » et si dans leurs tribulations ils n’ont pas blasphémé, ils sont sortis du fourneau comme des vases complets ; ils sont pleins de la bénédiction du Seigneur. Quant à ces blasphémateurs qui ne convoitent que les choses terrestres, après avoir perdu ces choses, que leur restera-t-il ? Rien au dehors, rien au dedans ; leurs mains seront vides, et leurs consciences plus vides encore.

« Vous vous plaignez de vos amertumes et de vos tribulations, et vous dites : « Voilà que tout périt sous le règne du christianisme ! » Pourquoi crier ainsi ? Dieu n’a pas promis que tout cela ne périrait pas, l’Éternel a promis des choses éternelles. Le bénir pour le bien, le blasphémer pour le mal, c’est prendre le dard du scorpion. — Si la cité qui nous a engendrés charnellement ne subsiste plus, celle qui nous a engendrés spirituellement reste encore. Celle-là seule existe pour des chrétiens.

« N’est-ce pas en considération de Jésus-Christ que les Barbares ont épargné ces Romains si contraires maintenant au nom de Jésus-Christ ? — On les a vus choisir les plus grandes églises pour mettre plus de monde à couvert. — Romulus n’avait fondé qu’un asile ; Alaric en a fondé deux, d’où la population romaine est sortie renouvelée comme de deux sources salutaires. — Les Goths ont épargné un si grand nombre de citoyens que c’est merveille vraiment qu’ils en aient tué quelques-uns !

« Mais les femmes chrétiennes, les vierges même outragées ! Dieu n’a donc point eu souci des siens ? La chasteté de ses épouses est devenue le