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fonds de la société païenne, ignorans et crédules des personnages du plus haut rang, des intelligences éclairées, ne craignaient pas de les préconiser et de les soutenir. L’historien Olympiodore nous raconte le fait avec une fermeté de conviction qui a droit de nous surprendre chez un homme d’états mêlé aux affaires de son temps, honoré de quelques ambassades par le gouvernement d’Occident. Il ajoute que six ou sept ans après l’événement dont nous parlons, la Sicile ayant reçu pour son malheur, un gouverneur chrétien, le simulacre fut mis en pièces, et qu’alors les Barbares arrivèrent sans opposition sur une terre qui avait perdu sa sauvegarde. De pareils contes, présentés et acceptés sérieusement comme des vérités, font juger mieux que toute autre chose de la décadence morale où était tombé le polythéisme. Les persécutions contre le culte, la dernière surtout, avaient eu cette double conséquence de jeter ses partisans dans une vague religiosité qui n’était plus qu’un manteau politique ou de les poussée par l’opiniâtreté de la lutte aux défis les plus extravagans contre l’évidence et le bon sens.

Le désastre de Rhegium causa au roi des Goths un profond désespoir. Son âme, que nous avons montrée accessible aux terreurs religieuses, qu’elles vinssent du christianisme ou du paganisme, en ressentit peut-être alors une double atteinte. Ne sachant que résoudre, il alla se cacher dans une vallée des Abruzzes, près de la ville de Consentia, aujourd’hui Cosenza : il y délibéra tristement, nous disent les historiens sur sa fortune présente et sur l’avenir qu’elle pronostiquait au peuple des Goths. Le bonheur semblait l’avoir abandonné depuis le jour où, cédant aux entraînemens de la colère, il avait saccagé Rome. En attentant à l’inviolabilité de la ville éternelle, dont il détruisait le prestige, il avait tranché du même coup les espérances de son ambition, et maintenant, humilié dans son orgueil, amoindri dans sa force, bloqué dans une gorge de l’Apennin, entre des élémens furieux et l’Italie prête à se soulever, il avait mis contre lui le ciel et les hommes. Il ne lui restait pas même la ressource d’aller mener en Afrique la vie de ravageur barbare, puisque la mer le repoussait. Au milieu de ces sombres pensées, il fut saisi d’un mal subit et grave, dont le chagrin précipita la marche. À peine eut-il le temps de régler sa succession ; au bout de peu de jours, il était mort. Les Goths, qui le pleurèrent comme un grand homme et un grand roi, voulurent honorer sa mémoire par une sépulture digne d’eux et de lui. De peur que des mains romaines excitées par la cupidité ou la haine, ne violassent les restes du violateur de Rome, ils creusèrent sa fosse près de Consentia, dans le lit d’une petite rivière appelée le Barentin, qu’ils rendirent ensuite à son cours naturel, et celui qui avait traversé