Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/813

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’assez belle apparence, que l’histoire qualifie d’ecclésiastique, soit qu’elle, appartînt en propre à l’église romaine, soit que cette église y eût placé à demeure des veuves ou filles attachées à son service. Le Goth y entra et la trouva à peu près déserte : son gardien était une vieille femme vêtue du costume des vierges, qui accueillit l’étranger avec dignité et calme. À la sommation ordinaire : « apporte-moi tout ce que tu as d’or et d’argent, » la femme s’approcha d’une cachette dont elle ouvrit la porte, et elle en tira des objets précieux qu’elle étala successivement devant le Barbare : c’étaient des ornemens d’or et d’argent enrichis de pierreries et du plus beau travail, principalement des vases ciselés dont le Goth contempla longtemps l’éclat et la forme inusitée. Il les soulevait avec la main, comme pour en estimer le poids, et demandait, émerveillé, à quoi servaient de si belles choses. « C’est le trésor de l’apôtre Pierre, dont je suis dépositaire, répondit la vierge d’un ton ferme et imposant ; ces vases sont ceux qu’on emploie aux mystères dans sa basilique. Prends-les si tu veux, cela te regarde, et tu sais à qui tu en rendras compte : pour moi, je les abandonne à ta discrétion, car je n’ai pas la force de le défendre. »

Ému de ce qu’il entendait, l’officier goth s’arrêta respectueusement devant ce trésor qui tout à l’heure enflammait sa cupidité ; il envoya prévenir Alaric, s’enquérant de ce qu’il devait faire : Alaric, effrayé à son tour, ordonna que le tout fût réintégré dans la basilique de Saint-Pierre, sans que personne osât en détourner la moindre parcelle. Il recommanda aussi que le transport se fît avec toute la vénération et la pompe convenables. L’officier eut bientôt réuni des soldats de sa nation et des Romains esclaves ou libres pris dans le voisinage ; des chrétiens se joignirent volontairement à cette troupe, et il se forma comme une procession qui s’achemina lentement vers le sanctuaire de l’apôtre. Les uns portaient, au-dessus de leur tête les divers meubles du trésor, les autres formaient le cortège, et des files de soldats barbares les environnaient ou les précédaient l’épée au poing. L’histoire ajoute qu’ils traversèrent ainsi plus de la moitié de la ville. Un nombre infini de curieux, attirés par l’étrangeté du spectacle, se rallièrent de proche en proche au cortège ; on entonna des psaumes et des hymnes où la voix des Goths se mêlait à celle des Romains par une harmonie bizarre, chacun chantant dans sa langue, les Romains d’après la version latine usitée en Italie, les Goths d’après celle d’Ulfila, Ce fut une diversion bien inattendue aux horreurs du siège. Comme ceux qui faisaient partie de la procession n’étaient ni rudoyés ni volés, des polythéistes s’y glissèrent pour sauver leur vie ou leur argent, et les chrétiens le leur reprochèrent amèrement plus tard. Il paraît qu’à l’entrée de