Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/811

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les autres bruits ; la foudre à coups répétés sillonnait l’obscurité de la nuit : on eût dit que la main du ciel se joignait à celle des hommes pour anéantir cette ville infortunée. Plusieurs grands édifices fuient frappés, particulièrement des temples et des monumens : consacrés aux dieux, ce qui remplit d’une horreur superstitieuse le cœur des païens. le Forum fut foudroyé, et les statues qui le décoraient arrachées de leurs bases et semées sur la place. Cette double destruction laissa partout des marques, et durant les jours qui suivirent, quand le feu cessa de brûler, les maisons calcinées croulaient encore. Les yeux alors n’apercevaient plus au loin que poutres d’airain branlant dans les murs, toits entr’ouverts, frontons brisés, colonnes couchées à terre, simulacres noircis ou fondus. Saint Jérôme, dans son âpre et dur langage, nous peint en quelques mots l’effet de ce grand désastre, où les colères du ciel et de la terre semblaient s’être conjurées pour envelopper du même linceul la ville et ses habitans. « Par un seul embrasement, nous dit-il, Rome fut ensevelie tout entière sous sa cendre. »

Où le feu ne sévissait pas, le meurtre, le viol, le pillage s’avançaient comme un troisième fléau d’un quartier à l’autre. Aucune femme ne fut à l’abri des outrages ; rien ne les garantissait, ni le rang, ni l’âge, ni la religion : plusieurs vierges, consacrées par l’église furent victimes des dernières violences. Aux entraînemens de la débauche se joignaient, dans l’âme féroce des Goths, une cruauté naturelle, l’habitude du sang, le goût des tortures, surtout la passion de l’argent, et les palais dorés des patriciens devinrent le théâtre des plus lamentables, tragédies. Une veuve de naissance illustre, amie de saint Jérôme et son élève dans l’exégèse des livres sacrés, où elle avait acquis un certain renom, Marcella, habitait sur le mont Aventin la demeure de ses ancêtres, en compagnie d’une jeune fille vouée comme elle à la profession religieuse et qu’elle avait adoptée. Cette jeune fille s’appelait Principia. Avec des apparences de richesse au dehors, la maison de Marcella était simple au dedans ; le luxe, l’aisance même en étaient bannis, car la veuve avait distribué tout son bien aux pauvres ; elle et sa compagne ne portaient même que des habits de bure. Surprises par la brusque irruption de l’ennemi, elles n’avaient pu ni fuir ni se cacher, et elles étaient seules lorsqu’une troupe de Barbares tout souillés de sang pénétra jusqu’à leur appartement secret. Ces hommes voulaient de l’argent ; ils demandaient avec instance et menace des trésors que Marcella ne pouvait leur livrer. Elle eut bau leur montrer les vêtemens misérables qui les couvraient toutes deux, elle eut beau leur expliquer les motifs de son indigence, ils la frappaient à coups de bâton pendant qu’elle parlait : de guerre lasse,