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Aucune maison patricienne n’était donc comparable à celle-là pour le triple éclat de la naissance de la fortune et des dignités. Si Proba Faltonia fut vraiment coupable de l’acte que l’histoire lui impute, la suite montra qu’elle n’en voulait tirer pour elle-même aucun profit, et qu’Alaric ne lui sut point gré d’une trahison, dont le mobile n’était ni l’intérêt des Goths ni sa personne, mais une étrange folie de charité, et plus probablement, on peut le supposer, la passion religieuse et l’esprit de parti.

Les Goths firent leur entrée au son des trompettes et au bruit des chants sauvages qui d’ordinaire signalaient leur approche. Tout en marchant, ils mettaient le feu aux maisons, et les jardins de Salluste, cette merveille des arts, disparurent bientôt sous des monceaux de cendres. Réveillés en sursaut par le tumulte, les habitans comprirent, à la lueur croissante de l’incendie, que la ville était au pouvoir de l’ennemi. Au moment de franchir la porte Salaria, Alaric, à ce qu’il paraît, ressentit en lui-même une terreur secrète. En proie à un de ces mouvemens intérieurs par lesquels l’homme demi-civilisé et chrétien combattait chez lui le barbare, il se dit que Rome, qu’il allait saccager, n’était pas seulement la métropole du monde, mais aussi la ville des apôtres, qu’il fallait donc compter avec le ciel, et il envoya l’ordre à toutes les divisions de son armée de respecter les basiliques de Saint-Pierre et Saint-Paul avec ce qu’elles renfermeraient de peuple et de richesses. Hors ces deux asiles, il abandonnait tout à la rapacité du soldat, lui recommandant toutefois d’épargner le sang. « Je fais la guerre aux hommes, je ne la fais pas aux apôtres, » répéta-t-il aux chefs qui l’entouraient, comme s’il eût voulu par ces paroles justifier son ordre et en prouver la nécessité. Les deux refuges qu’il indiquait étaient d’ailleurs situés à l’extrémité opposée de la ville, en-deçà et au-delà du Tibre : la basilique de Saint-Pierre sur le Vatican, celle de Saint-Paul dans les terrains marécageux voisins de la porte d’Ostie.

Cependant la flamme, poussée par un vent d’orage, gagnait de proche en proche, plus rapide que la marche de l’ennemi, et dévorait indistinctement les demeures des pauvres et celles des riches, les ergastules d’esclaves et les palais, les églises et les temples. Il s’élevait des flots de maisons que l’embrasement atteignait ou menaçait comme un concert de clameurs sinistres et de lamentations qui couvraient le bruit de la bataille. Les habitans se précipitaient dehors pêle-mêle, hommes, femmes, enfans, esclaves et maîtres, s’appelant par leurs noms, s’entraînant, se heurtant les uns les autres, et ceux qui échappaient aux flammes rencontraient dans la rue l’épée des Goths. Au plus fort de l’incendie, l’orage qui s’annonçait éclata avec une violence inouïe, couvrant de sa voix tous