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mières, comme les palais, avaient depuis longtemps appris à connaître.

Des souvenirs qui se rattachent aux tableaux de M. Vernet passe-t-on à l’examen des faits qui ont marqué sa vie; comment ne pas admirer cette succession d’événemens si obstinément favorables, ce don d’échapper pendant cinquante ans à tous les périls, depuis les combats aux barrières de Paris en 1814 et les accidens de voyages jusqu’aux disgrâces officielles qui pouvaient punir une saillie imprudente ou une espièglerie un peu vive? Comment ne pas s’étonner que l’existence d’un seul homme ait été remplie à ce point d’œuvres et d’aventures si disparates, que tant de fatigues aient pu y trouver place, tant de contrastes s’y produire? Un volume suffirait à peine à contenir l’énumération des villes et des déserts que M. Vernet a visités, des honneurs rendus sur tous les points du globe à sa personne, des amitiés illustres qui l’ont accueillie. Que serait-ce s’il fallait grossir le récit d’autres particularités biographiques qu’il ne se refusait guère au surplus à divulguer lui-même, et mettre en regard des innombrables travaux qu’il a menés à fin toutes les gaîtés qu’il a faites ou dites, tous les bons tours qu’il a joués? Ce récit compliqué de tant d’épisodes divers, nous ne songeons pas à le tenter. Le moment d’ailleurs nous semblerait mal choisi pour une telle entreprise. Ce n’est pas devant une tombe à peine fermée, ce n’est pas au lendemain d’une mort pressentie avec courage et chrétiennement reçue qu’il conviendrait de chercher à provoquer le sourire en insistant sur des souvenirs aussi mondains. Mieux vaut borner notre tâche à essayer d’indiquer quelques-uns des caractères de ce brillant talent et demander à ses œuvres mêmes des confidences sans indiscrétion et des témoignages sans détours.

Lorsqu’on parcourt l’immense suite des travaux dus au pinceau ou au crayon de M. Vernet, il est impossible de ne pas être ébloui, au premier aspect, de l’éclatante facilité, de l’adresse d’esprit et de main, de toutes les qualités qui étincellent, pour ainsi dire, dans ces travaux, et qui, se reflétant d’un bout à l’autre de la série, lui donnent une apparence et un charme presque magiques. L’habileté du peintre est manifeste, l’action qu’il exerce sur le spectateur très réelle, l’admiration qu’il excite vive bien certainement : d’où vient pourtant que cette action si sûre soit en même temps si peu féconde, que cette admiration légitime semble un entraînement qu’on subit, une dette, si l’on veut, qu’on acquitte, plutôt qu’un tribut de la confiance réfléchie, du dévouement, de la foi? D’où vient que le plus populaire des artistes contemporains n’ait réussi à faire école ni en France, ni ailleurs, tandis que des peintres moins célèbres à coup sûr, quelquefois même inférieurs à lui parle mérite, ont groupé