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grand-chambellan Eusébius ayant insulté le comté Allowig, commandant des domestiques, celui-ci, qui était un Barbare d’une force prodigieuse, l’avait saisi à la gorge sous les yeux du prince et assommé à coups de bâton. L’arrivée de six mille hommes envoyés par l’empereur d’Orient ne suffit pas pour rassurer Honorius, retombé dans ses anciennes frayeurs. Alaric le trouva donc tout disposé à rouvrir les conférences lorsqu’il revint avec son armée occuper Ariminum vers le commencement du mois de mars. Le roi goth amenait avec lui deux gages dont il pouvait se servir, en sens contraire, son empereur Attale et la jeune Placidie, qu’il s’était fait livrer par les Romains, et qui était traitée dans son camp plutôt en reine qu’en captive : Attale était un otage pour la guerre, Placidie pour la paix.

Les négociations, vivement reprises, parurent toucher enfin au dénoûment. Tout l’annonçait favorable : Placidie se voyait prochainement rendue à sa famille, et Alaric pouvait se dire déjà dans son cœur le second Stilicon d’Honorius, quand on fit observer de la part de cet empereur au maître des milices d’Attale qu’il n’avait encore fourni aucune preuve décisive de la sincérité de ses intentions, et que, tant qu’il garderait près de lui son empereur de théâtre, ainsi qu’on l’appelait, le prince légitime pouvait justement suspecter sa bonne foi. L’observation était fondée ; Alaric en sentit la force. Quelle preuve plus éclatante donner à la face du monde que d’enlever à ce mannequin la puissance dont il l’avait revêtu ? Il fit venir Attale en costume impérial dans un lieu nommé Alpe, voisin du port de Ravenne, et là, sous les yeux d’Honorius et des soldats romains, sous les yeux de sa propre armée, il lui arracha des épaules le manteau de pourpre, du front le diadème de perles, et lui signifia qu’il rentrait dans la condition privée. Par grâce singulière, il lui permit de rester avec son fils dans le camp des Goths, leur vie n’étant plus en sûreté ailleurs. Ainsi Honorius triomphait : son rival n’existait plus même de nom, et le gouvernement du sénat était mis en poudre par la main qui l’avait créé ; il ne manquait plus pour confirmer l’accord que la double signature du traité et l’échange des sermens.

Un jour qu’Alaric, dans l’attente, parcourait la plaine à peu de distance de son camp, une troupe de brigands barbares fondit sur lui à l’improviste, tua ou dispersa son escorte, porta le désordre dans ses avant-postes, et faillit l’enlever lui-même : c’est du moins ce qu’on peut inférer des termes assez obscurs employés par les historiens. Ces brigands étaient de la bande de Sarus, cet ancien général de Stilicon, ennemi personnel du roi des Goths et son compatriote. Après le meurtre du régent, Sarus avait quitté le service romain, et