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gouvernement à la possession de l’Afrique : qu’importait le moyen de la recouvrer ? Les gens passionnés n’y tenaient guère ; si les Barbares étaient plus sûrs que le soldat romain, il fallait s’en servir quand même. Cette obstination qu’Attale regardait comme héroïque et dont il se glorifiait vraisemblablement comme d’un acte de patriotisme, on la taxait dans les conciliabules païens de stupidité et de folie, et l’on mettait en parallèle avec l’outrecuidance irréfléchie de l’empereur la sagesse et la modération de son maître des milices : c’est ainsi, que s’exprimaient encore les écrivains polythéistes plus d’un siècle après. Par la plus étrange confusion d’idées, le roi des Goths devenait aux yeux de beaucoup d’Italiens le vrai représentant des intérêts de Rome ; toutefois cette popularité inattendue ne le consola point des ennuis que lui causait Attale : « il en désespéra, » nous dit l’histoire. Le contre-coup de ces dissentimens, ainsi qu’il était aisé de le prévoir, se fit bientôt sentir dans Ravenne, où les négociations furent interrompues ; Jovius, chassé de la cour, alla se réfugier dans le camp d’Alaric. En même temps on put remarquer parmi les troupes romaines, qui composaient avec les Goths l’armée du sénat, des signes d’incertitude et même de trahison. Le propre lieutenant d’Alaric, le Romain Valens, maître de la cavalerie, lia des intelligences secrètes avec Honorius ; Alaric le sut et le fit mettre à mort. Tout manquait à la fois au roi des Goths, jusqu’à la saison, qui ne permettait plus de tenter une attaque de vive force dans ces marais, au milieu de fleuves grossis par les pluies de l’automne et près de déborder : sous le poids de ces contre-temps réunis, il leva le siège pour regagner son cantonnement de Toscane par l’Emilie et la Ligurie. Chemin faisant, il obligea ces provinces à prêter serment au nouvel empereur, non assurément par affection pour Attale, mais par rancune contre Honorius. Bologne seule osa résister : le roi des Goths passa outre, dédaignant de perdre son temps et de risquer le sang des siens pour de si petits intérêts. Il rentra enfin dans ses quartiers d’hiver, mécontent de lui-même et surtout du gouvernement auquel il avait attaché le succès de ses plus chères espérances.

L’année 410 se présenta sous des auspices tout à fait extraordinaires. Elle ne fut point inaugurée à Ravenne, où l’empereur Honorius, dans son désarroi, avait oublié de nommer un consul, et ce fut le consul d’Attale, Tertullus, qui l’ouvrit à Rome et l’intitula de son nom. Ce zélé païen en prit occasion pour montrer à ses contemporains ce qu’était un consul des vieux temps et jeter un double défi aux chrétiens et aux polythéistes sensés, que les fanatiques accusaient de tiédeur. Il chercha ce ! qu’auraient pu faire à sa place les Tertullus d’autrefois, en supposant qu’il en descendît, et s’y