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réussite était non-seulement désirable, mais nécessaire au nouveau gouvernement, qu’un échec pouvait renverser en faisant de l’Afrique un point d’opposition, d’un autre côté l’emploi de Barbares pour cet objet présentait un danger que personne ne pouvait nier. C’était une idée traditionnelle chez les Romains que la perte de l’Afrique serait plus dommageable à l’empire d’Occident que l’occupation d’une partie de l’Italie par une armée étrangère, car l’Afrique alimentait Rome, et ; Rome subsistant l’empire pouvait toujours se relever. Que serait-ce si des Barbares maîtres de l’Afrique tenaient en même temps l’Italie ? La ruine du nom romain serait consommée.

Voilà sur quoi les opposans fondaient en secret leur refus et Attale tout le premier, qui rejeta nettement la proposition de son maître de milices. Pour trancher le débat au vif, il fit partir sur-le-champ, avec une petite flotte, un de ses affidés, Constantin, muni de pleins pouvoirs et accompagné d’une poignée de soldats romains. Il se flattait que la seule apparition de ce délégué, porteur d’une lettre de lui aux magistrats des villes d’Afrique, suffirait pour amener la province sous son obéissance et renverser Héraclianus. Quand on émettait des doutes à cet égard, il répondait avec mystère « qu’il était sûr du succès, car les devins avaient déclaré que l’Afrique se rendrait à lui sans combat. Cette raison eût dû suffire aux païens fanatiques, toutefois, animés par la haine, et préférant tout à la domination des catholiques, ils soutinrent le projet d’Alaric et blâmèrent aigrement Attale. Attale au fond n’était pas un mauvais citoyen : au moment d’exécuter ce qu’il avait toujours regardé comme un grand mal pour son pays, il avait reculé avec frayeur. Pour ceux qui le connaissaient bien, sa conduite récente, si indigne qu’elle fût, dénotait plus de vanité encore que de bassesse. Tout en se faisant l’instrument des projeté d’Alaric, il s’imaginait que c’était lui-même qui faisait d’Alaric un instrument de ses grands desseins sur le monde. Il poussait l’inanité de l’orgueil jusqu’à se regarder comme indispensable à la république, et croyait apporter à l’empire et aux Goths plus de profit qu’il n’en recevait : illusion que personne assurément ne partageait, mais qui résista chez Attale aux plus rudes épreuves. Alaric se conduisit dans toute cette affaire avec une apparente modération qui lui valut la faveur du sénat, et dans l’histoire les éloges des polythéistes. Son insistance eût pu donner fondement à des soupçons qu’il ne se dissimulait pas ; il garda le silence, et, se renfermant dans son rôle de fonctionnaire subordonné, laissa agir son empereur. L’expédition pacifique eut lieu sous la conduite de l’affidé d’Attale, Constantin, et elle alla, comme on le devine aisément, échouer contre la vigilance énergique d’Héraclianus.