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des flottilles de barques halées par des mulets les faisaient remonter ensuite jusqu’à la ville. Cet établissement, ouvrage du premier empereur, avait été agrandi successivement par Claude, par Trajan, par Septime-Sévère. Une petite ville s’était formée alentour sous ce même nom de Port, et elle était, à l’époque dont nous parlons, assez peuplée et munie d’assez bonnes défenses pour résister à un coup de main. Alaric l’assiégea en règle et ne la prit qu’après quelques jours de tranchée. Il fit respecter les magasins, mais il écrivit au sénat que si une complète satisfaction ne lui était donnée sans délai, il les livrerait au pillage. Ce pillage, c’était la famine dans Rome. Cela fait, et le port occupé par une bonne garnison, il revint devant la ville attendre la réponse du sénat.

La brusque apparition d’Alaric n’avait pas laissé aux magistrats le temps de se pourvoir de vivres : les magasins intérieurs étaient à sec ; et la disette allait commencer. Le sénat essaya de parlementer ; mais à toutes les observations, à toutes les prières, Alaric ne répondait qu’un mot : « Délibérez. » Las de supplier vainement, le sénat délibéra et probablement aussi le peuple, qui craignait la faim et ne tenait guère à ses empereurs. Curieux renversement des choses de ce monde : un ennemi étranger venait rendre au peuple de Rome, sous la double pression d’un siège et de la famine, un droit politique dont les révolutions civiles l’avaient dépouillé, le droit d’élire ses maîtres ! Le résultat de la délibération ne fut point douteux et ne pouvait l’être. Pourquoi Rome se serait-elle sacrifiée pour un prince qui la sacrifiait ainsi de gaîté de cœur en rompant une convention par laquelle elle s’était sauvée elle-même à ses dépens ? C’était là le sentiment du peuple. Quant au sénat, dont la majorité haïssait la maison de Théodose, il ne voyait peut-être pas sans un secret plaisir l’occasion d’une vengeance que la nécessité semblait justifier, et plus d’un païen saluait déjà dans les calamités présentes l’aurore d’une délivrance prochaine. Un sénatus-consulte, rendu dans la forme là plus solennelle, prononça donc la déchéance de l’empereur Honorius et, conformément à la règle, il fut porté ensuite aux comices du peuple, qui l’approuvèrent. Le choix du nouvel auguste pouvait soulever des difficultés plus sérieuses : Alaric se hâta de les aplanir en recommandant à la désignation du sénat le préfet de la ville, Attale, comme un candidat digne, du rang suprême et qui lui serait personnellement agréable. L’Ionien devait cet honneur à certaines intelligences fort intimes que, depuis son retour de Ravenne, il avait entretenues avec les Goths par suite d’une circonstance dont j’ai à parler.

Il plut un jour à cet épicurien thaumaturge de se faire chrétien, et il donna la préférence à la communion arienne, qui ne le séparait