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tenir tête, et finit par les maîtriser. Il est bien remarquable que, quoiqu’il ait conquis son pouvoir uniquement par la guerre, il ait su, dans le gouvernement qu’il fonda, maintenir la prédominance de l’élément civil. Si l’empire, dans lequel il n’y avait plus d’autre élément de force et de vie que l’armée, n’est pas devenu dès cette époque une monarchie militaire, c’est assurément à sa fermeté qu’on le doit.

Il n’y a rien de plus simple que les rapports d’Auguste avec le peuple. Les renseignemens que fournit le testament à ce sujet sont tout à fait d’accord avec le discours de Mécène ; il le nourrit et l’amusa. Voici d’abord le compte exact des sommes qu’il a dépensées pour le nourrir : « J’ai compté au peuple 300 sesterces (60 fr.) par tête d’après le testament de mon père, et 400 sesterces (80 fr.) en mon nom sur le butin fait à la guerre pendant mon cinquième consulat. Une autre fois, dans mon dixième consulat, j’ai encore donné 400 sesterces de gratification à chaque citoyen, de ma fortune privée. Pendant mon neuvième consulat, j’ai fait douze distributions de blé à mes frais. Quand je fus revêtu pour la douzième fois de la puissance tribunitienne, j’ai encore donné 400 sesterces au peuple par tête. Toutes ces distributions n’ont pas été faites à moins de deux cent cinquante mille personnes. Étant revêtu pour la dix-huitième fois de la puissance tribunitienne, et consul pour la douzième, j’ai donné à trois cent vingt mille habitans de Rome 60 deniers par tête (48 francs). Pendant mon quatrième consulat, j’ai fait prélever sur le butin et distribuer dans les colonies formées de mes soldats 1,000 sesterces (200 francs) pour chacun d’eux. Environ cent vingt mille colons reçurent leur part dans Cette distribution qui suivit mon triomphe. Consul pour la treizième fois, j’ai donné 60 deniers à chacun de ceux qui recevaient alors des distributions de blé. Il s’en trouva un peu plus de deux cent mille. » Après ces largesses vraiment effrayantes, Auguste mentionne les jeux qu’il a donnés au peuple, et, quoique le texte offre ici quelques lacunes, on peut supposer qu’il ne lui en a pas moins coûté pour l’amuser que pour le nourrir. « J’ai donné des spectacles de gladiateurs….. fois[1] en mon nom, et cinq fois au nom de mes enfans ou petits-enfans. Dans ces différentes fêtes, environ dix mille hommes ont combattu. Deux fois en mon nom, et trois fois au nom de mes petits-fils, j’ai fait combattre des athlètes que j’avais fait venir de tous les pays. J’ai célébré des jeux publics quatre fois en mon nom et vingt-trois fois à la place des magistrats qui étaient absens, ou ne pouvaient pas suffire aux frais de ces jeux… J’ai fait voir vingt-six fois en mon nom, ou au nom de mes fils et petits-fils, des chasses de bêtes d’Afrique dans le Cirque, au Forum ou dans les amphithéâtres, et l’on y a tué environ

  1. Le chiffre n’a pu être lu ni dans le grec ni dans le latin ; il devait être assez considérable. Sénèque, pour montrer à quel point on peut devenir indifférent à la mort, raconte que sous Tibère un gladiateur, se plaignant de la rareté de ces grands massacres et faisant allusion à l’époque d’Auguste, disait : « C’était le bon temps ! — Quam bella oelas periit ! »