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sur ce point quelques-unes des personnes auxquelles nous faisons allusion. Un peu de fierté mélancolique ne messied point à certaines figures qui ont déjà leur page dans l’histoire, et qui seraient obligées de se grimer pour y remplir un nouveau feuillet. La constance des caractères publics, qui paraît raideur aux esprits légers, importe à l’honneur et à l’influence morale des opinions. Il ne viendra à l’esprit d’aucun homme juste et sensé de traiter d’émigrés à l’intérieur ceux qui, par respect pour leur passé, déclineraient la députation, afin de n’avoir point à faire le saut du serment. Il ne faut pas abuser des jeux de mots. Le devoir patriotique ne va point jusqu’à obliger un homme à être député, et on n’émigre point à l’intérieur parce qu’on refuse d’être candidat. Entre le député malgré lui et l’émigré à l’intérieur, il y a, grâce à Dieu, une multitude de rôles, l’agriculture, l’industrie, les affaires, les arts, les lettres, la presse, que l’on peut remplir en restant aussi bon Français que le suffrage universel lui-même, et où l’on peut rendre d’actifs services à son pays.

Il faut reconnaître d’ailleurs que la députation n’a plus sous le présent régime les prérogatives et l’autorité qui pouvaient la rendre autrefois enviable aux hommes qui devaient se croire appelés à exercer sur le pays l’influence de leurs idées et de leurs talens. La députation n’est plus la route par laquelle on arrive au pouvoir. La question de savoir à quels principes, à quels intérêts, à quels hommes le gouvernement doit appartenir, ne se peut plus résoudre dans le corps législatif. Les députés ne possèdent plus le droit d’initiative, qui permettait jadis à un simple citoyen, étranger aux compétitions de l’ambition politique, d’espérer qu’à un jour donné il pourrait faire adopter par le pays une inspiration heureuse de son esprit ou de sa conscience, ou qu’à force de persévérance et de dévouement il pourrait faire réussir quelque grande réforme. Un certain droit de contrôle, une petite influence consultative, voilà tout ce que peut posséder le député dans la constitution actuelle. La fonction est devenue plus terne et moins efficace en même temps qu’elle devenait plus ingrate. Enfin, si le rôle de député est rétréci, combien la tâche du candidat indépendant est plus laborieuse et plus hasardeuse ! Le pouvoir a ses candidats avoués, et il n’hésite point à mettre à leur service toutes les forces de l’administration. Quelle inégalité dans les moyens et dans les chances de la lutte ! Le candidat du gouvernement a pour lui tout ce qu’il y a d’organisé dans ce pays. Et quelle organisation ! La plus concentrée, la plus hiérarchisée, la plus disciplinée, la plus obéissante qui fut jamais ; tout le réseau des fonctionnaires, depuis le préfet jusqu’à l’officier de police et au gendarme ! En face du candidat de l’administration, qu’on ne craint même pas d’appeler le candidat de l’empereur, et qui s’appuie sur les cadres compactes et puissans de l’armée administrative, le candidat indépendant est tout seul. La liberté de la presse et la liberté d’association rétabliraient l’équilibre ; mais le candidat indépendant en est réduit à s’écrier : « Ciel, rends-moi la lumière, et combats contre moi ! » La lumière ne lui est pas rendue : la presse demeure