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aussi bien que les blancs d’Europe émigrés dans le Nouveau-Monde. Très attachés à leur famille, à leurs amis, au sol qui les a vus naître, ils veulent jouir de la liberté à l’endroit même où ils étaient naguère esclaves, grandir à l’état d’hommes sur cette glèbe qu’ils cultivaient naguère en qualité de bestiaux. Aucun des nègres libérés de Beaufort et des plantations de la Virginie n’a demandé à se rendre dans les états du nord. Leur réponse unanime aux questions des missionnaires de la société d’émancipation a été la suivante : « C’est ici que nous voulons rester ; donnez-nous un champ, payez régulièrement notre travail, et nous serons satisfaits. » Les hommes de couleur libres qui résident dans les grandes villes sont en général moins attachés au sol que les nègres des plantations, et consentiraient plus facilemet à émigrer ; mais ils ne songent guère à se rendre ailleurs que dans les Antilles ou dans les contrées riveraines du golfe du Mexique. Les noirs et les mulâtre de Philadelphie, de New-York, de Boston, vont presque tous s’établir dans l’île d’Haïti ; ceux de la Nouvelle-Orléans ont pensé à la péninsule de Floride, et sont en instance auprès du gouvernement pour y obtenir des concessions de terres. Sous l’influence de la liberté aussi bien que jadis sous l’influence de l’esclavage, les population d’origine africaine continueront de se masser de plus en plus dans les contrées méridionales de la république. Obéissant à cette harmonie secrète qui existe toujours entre la terre et l’homme, les noirs sont graduellement entraînés dans le système d’attraction dont les Antilles forment le centre, et s’agglomèrent peu à peu dans les régions tropicales du Nouveau-Monde. Plus n’est besoin d’être prophète pour affirmer que les plages du golfe du Mexique et ces îles merveilleuses qui déroulent leur demi-cercle brisé autour de la mer des Caraïbes appartiennent désormais aux races mélangées.

Quoi qu’il en soit des destinées futures de la race africaine en Amérique, on peut maintenant considérer l’institution de l’esclavage comme frappée à mort dans les États-Unis. Nous ne cherchons point à nous dissimuler les obstacles de toute nature que doit surmonter la république avant de rentrer dans cette carrière de progrès qu’elle parcourait d’une allure si rapide. L’abîme de la dette, déjà si profond, se creusera davantage ; des milliers d’hommes, parmi lesquels bien des héros, tomberont à côté de ceux qui dorment sur les champs de bataille ; d’immenses désastres, proportionnés à la grandeur du crime national commis contre les Africains, s’abattront encore sur les deux fractions hostiles du peuple et les réduiront peut-être à une commune misère ; mais, quoi qu’il arrive, il est désormais certain que les planteurs doivent renoncer à fonder un empire stable sur le principe de la servitude des nègres. Quand même, ce qui nous semble absolument impossible, les démocrates séparatistes du