Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps que le bien-être et la liberté. Déjà les journaux, oubliant qu’il fallait, avant toutes choses, obtenir l’assentiment des nègres eux-mêmes, s’occupaient à l’envi d’évaluer les sommes nécessaires pour le transport de 4 millions d’hommes, soit à Libéria, soit dans les Antilles ou dans les républiques de l’isthme américain. Cependant aucun des projets conçus en vue de la séparation définitive des deux races n’a pu aboutir au moindre résultat pratique. Les républiques espagnoles, que les expéditins de Walker ont rendues méfiantes, non-seulement à l’égard des esclavagistes du sud, mais aussi à l’égard des Yankees,craignirent peut-être qu’un perfide espoir de conquête ne se cachât sous les propositions du gouvernement fédéral, et déclarèrent que leur territoire, ouvert généreusement à tous les étrangers libres, ne deviendrait jamais un lieu de déportation. Plus empressées, plusieurs législatures des Antilles anglaises et les autorités danoises de l’Île de Sainte-Croix entrèrent en pourparlers avec M. Seward pour obtenir en qualité d’apprentis un certain nombre de nègres ; mais ceux-ci frémirent d’indignation à la pensée qu’on songeait, sous prétexte de philanthropie, à leur imposer un esclavage temporaire, et, chose remarquable, les planteurs du Maryland, loin de vouloir se débarrasser des noirs affranchis, protestèrent contre une mesure qui les aurait privés de leurs artisans et des cultivateurs de leurs propriétés. Les demandes du Brésil, présentées par l’entremise de M. Watson Webb, ministre américain à la cour de Rio-Janeiro, ne furent pas mieux accueillies : par une remarquable dépêche en date du 21 juillet 1862, M. Seward déclina d’une manière catégorique toute espèce de complicité dans un projet de colonisation des bords de l’Amazone, où les noirs venus des États-Unis n’auraient obtenu des terres et la liberté qu’après trois années de servitude. Les noirs libres des États-Unis qui se sont dirigés en nombre assez considérable vers la république haïtienne sont des émigrans volontaires. Ils ont déjà fondé dans cette colonie plusieurs villages, et contribueront grandement à la prospérité de leur nouvelle patrie par le développement qu’ils donnent à la culture du cotonnier.

On a souvent prétendu que le gouvernement fédéral avait l’intention de déporter en masse toute la population de couleur des États-Unis ; mais quand même le démenti solennel de M. Lincoln ne serait pas suffisant pour faire tomber cette accusation, les faits se chargent de justifier pleinement le cabinet de Washington. Les nègres ont été consultés, et dans aucun cas on n’a mis la main sur un seul d’entre eux pour l’envoyer malgré lui sur une terre étrangère. On leur a simplement donné des conseils qu’ils ont librement reppoussés. C’était leur droit. Les noirs dont les ancêtres ont été enlevés sur la côte de Guinée par les traitans sont devenus Américains