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mais ils ont dû céder, dans la crainte de voir les petits blancs se déclarer en faveur de l’Union.

Si l’esclavage est sérieusement menacé dans les états du sud, non-seulement par les armes fédérales, mais aussi par l’ambition naissante des pauvres de race blanche et par l’impatience fiévreuse des nègres, on peut dire qu’il a déjà cessé d’exister dans plusieurs états du centre. Assez logiques pour comprendre qu’ils ont autant de droits à la liberté que leurs frères du sud, et ne partageant en aucune manière l’opinion du président sur les avantages d’un affranchissement graduel, les noirs du Maryland, du Missouri et des autres états de la même zone se considèrent dès ce moment comme libres ; ils se refusent à patienter jusqu’en l’année 1900, et saisissent toutes les occasions de se soustraire à la servitude, eux et leurs familles. Quelques-uns même profitent de la proximité des états libres et du passage continuel des troupes pour s’enfuir vers le nord. D’autres, qui ont eu la chance de naître au sud du Potomac ou du Tenessee, font proclamer leur liberté par les tribunaux. D’autres encore refusent tout simplement de travailler, si le propriétaire ne leur donne pas un salaire en échange. Aussi les nègres, qui coûtaient en moyenne 1,000 dollars, il y a deux ans à peine, n’ont-ils plus aujourd’hui dans les états du centre qu’une valeur nominale, et quand on les achète au prix minime de 10 ou même de 5 dollars par tête, on acquiert, non leurs personnes, mais le vague espoir de les réduire à nouveau en servitude. Récemment un groupe de 130 esclaves, ayant appartenu à un planteur du Maryland, M. Charles Carroll, était évalué par des marchands de nègres et d’autres hommes du métier à 650 dollars seulement, soit à 5 dollars par tête. La veille encore, le testateur recommandait à ses héritiers de maintenir l’esclavage sur sa plantation, « dans l’intérêt des noirs eux-mêmes ; » mais à peine avait-il rendu le dernier soupir, que les nègres étaient déjà devenus libres par l’avilissement de leur prix vénal. L’attente de l’indemnité promise par le gouvernement empêche seule les propriétaires de renoncer à leurs immeubles vivans, et de s’épargner désormais tous les frais de nourriture et d’entretien. Les longues discussions du congrès et des législatures particulières n’ont pas encore permis de transformer en lois les bills d’émancipation proposés par les esclaves du Missouri, de la Virginie occidentale, du Maryland et du Delawar[1] ; mais il n’est pas

  1. Ces quatre états, dont l’un est formé d’une partie de la Virginie preoprement dite, possédaient ensemble, lors du recensement de 1860, une population esclave de 245,000 personnes. Il est probable que les sommes allouées s’élèveront à 15 millions de dollars pour le Missouri, à 10 millions pour le Maryland, à 1,500,000 dollars pour la Virginie occidentale, et à 150,000 dollars pour le Delaware.