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marchés d’esclaves restèrent fermés pendant plusieurs mois. Pour ceux qui ont vu la Nouvelle-Orléans dans le beau temps de la servitude, ces faits prouvent surabondamment l’immense progrès qui s’est accompli dans les mœurs et dans l’état social.

En décembre 1862, lorsque Butler fut remplacé par le général Banks dans le gouvernement de la Lousiane, ces deux hommes, dont l’un appartenait au vieux parti démocratique, tandis que l’autre avait été longtemps le coryphée des républicains, tinrent néanmoins à peu près le même langage au sujet de l’institution servile. Le plus énergique des deux ne fut pas celui que ses antécédens politiques engageaient sans retour dans la voie de l’émancipation ; aussi les séparatistes de la Louisiane, auquels leur fortune, leur talent et leur audace assuraient toujours une grande influence, virent-ils dans l’arrivée du général Banks une occasion favorable pour tenter une réaction. En un seul jour, les officiers de police, dévoués à l’ancien ordre des choses, arrêtèrent indistinctement tous les nègres qu’ils trouvèrent dans les rues de la ville, aussi bien les hommes libres que les esclaves fugitifs, et les enfermèrent pêle-mêle dans les prisons et les cachots. En même temps ils firent revivre le règlement du couvre-feu,qui interdisait à toutes les personnes de couleur de se montrer dans les rues après sept heures et demie du soir sous peine d’être incarcérées et fouettées ; mais l’aristocratie louisianaise avait trop présumé de la faiblesse du représentant de l’Union en pensant que de pareilles mesures pourraient être tolérées. Un ordre du jour mit un terme à ces efforts criminels des planteurs dépossédés, et les nègres obtinrent de nouveau ce droit, en apparence si simple, d’aller et de venir sans passeport, et de fouler le même pavé que les blancs de noble race caucasienne. Bientôt la transformation de la servitude en apprentissage reprit également son cours dans les propriétés riveraines du fleuve. Après de nombreux tâtonnements et diverses proclamations assez contradictoires, le général Banks, en février 1863, a fini par conclure avec les planteurs une espèce de traité au nom de leurs anciens esclaves. Ce traité n’est point équitable à l’égard des nègres, puisqu’ils ne reçoivent pas encore le titre d’hommes libres ; mais ils obtiennent déjà d’importantes garanties, incompatibles avec la continuation de l’esclavage. En premier lieu, ils peuvent choisir entre le service des planteurs et celui du gouvernement, et leur décision doit être respectée ; s’ils consentent à retourner sur les plantations, les propriétaires doivent leur payer un salaire de 1 à 3 dolalrs par mois, car « le travail a un droit absolu à une part des produits de la culture. » Enfin les châtimens corporels sont abolis, et le Général Banks fait entendre aux planteurs qu’il ne s’engage point à maintenir la discipline et la régularité du travail, si les nègres ne sont pas traités avec douceur. La plupart des planteurs protestent