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quelques parties de la Basse-Louisiane, la disette avait été suivie d’une véritable famine, et lorsque le général Butler s’empara de la Nouvelle-Orléans, un certain nombre de propriétaires avaient été obligés de licencier leurs esclaves faute de pouvoir les nourrir.

Bientôt après, la position devint encore beaucoup plus grave pour les planteurs louisianais établis sur les bords du Mississipi. Ils se voyaient pris entre deux feux. En aval se trouvaient les forces fédérales, gardant la métropole, qui est l’unique marché du pays, le seul endroit où puissent s’opérer les échanges. En amont et dans l’intérieur des terres, les troupes esclavagistes arrêtaient complètement le trafic, et faisaient tous leurs efforts pour affamer la Nouvelle-Orléans et les campagnes voisines. Le gouverneur séparatiste Moore, réfugié à l’ouest du Mississipi, dans le district des Attakapas, interdisait aux planteurs tout commerce avec l’ennemi, et leur défendait de mettre le pied dans aucune ville occupée par les Yankees.Le général Van Dorn, campé dans la région orientale de l’état, enjoignait à tous les riverains du Mississipi, sans exception, d’abandonner leurs demeures et de se retirer avec leurs familles et leurs domestiques à huit milles au moins dans les forêts de l’intérieur. Ne pouvant se conformer à un ordre semblable, qui était pour eux une véritable condamnation à mort, les planteurs s’exposaient à se faire traiter en ennemis par les confédérés eux-mêmes. Les habitans de la paroisse de Saint-Tammany ayant écrit au général esclavagiste Ruggles pour lui exposer leur triste situation et lui demander l’autorisation d’échapper à la famine en vendant aux Orléanais des briques et le bois de leurs forêts, il leur fut répondu : « Vos fils et vos frères sont morts sous les balles ; c’est à votre tour de vous sacrifier. Mourez de faim ! » Pour aggraver encore la détresse univeselle, des bandes de petits blancs parcouraient diverses paroisses en pillant les planteurs, ou bien en payant leurs denrées avec de faux billets.

L’esclavage, qui ne peut subsister longtemps sans les rigueurs d’une forte discipline et sans une régularité automatique des habitudes, se maintenait à grand’peine dans une société si complétement désorganisée. D’ailleurs, sur la plupart des habitations, les blancs, dans les rangs desquels la guerre civile avait déjà fait bien des vides, étaient trop peu nombreux pour employer des mesures de rigueur contre leurs noirs : les coups de fouet, le carcan, le cachot, étaient forcément tombés en désuétude, et les économes des plantations n’avaient plus d’autres moyens de se faire écouter que les flatteries et les prières. La désertion était devenue générale. Même à l’époque terrible de la domination absolue des planteurs, des centaines de nègres marrons, poussés par un invincible amour de la liberté, avaient préféré vivre, dans les bois ou dans les marais, de la vie des bêtes sauvages, exposés à la faim, au froid, aux hasards d’un combat