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à esclaves étaient moralement tenus d’abolir la servitude ; » il prouvait que l’existence dans un même état de deux sociétés, l’une libre et l’autre esclave, devenait à la longue absolument impossible ; il se demandait même s’il ne serait pas convenable d’extirper violemment l’esclavage par une révolution (revolutionize slavery out of existence), et terminait ainsi : « Le travail manuel est noble dans sa nature et ne peut être systématiquement avili par aucune nation sans que la paix publique, le bien-être général et la force collective du peuple ne diminuent en même temps. Le travail libre est la base de granit sur laquelle doivent reposer les libres institutions. Aussi notre mot d’ordre sera partout et toujours : « le travail libre et les droits de l’ouvrier. » On comprend l’effet que de semblables paroles durent produire au milieu d’une société qui repose au contraire sur « le bloc de marbre noir, » et professe que « le capital doit posséder son travail, » c’est-à-dire les travailleurs eux-mêmes. Jusque dans les états du nord, la proclamation du général Phelps causa un grand scandale.

Entré en vainqueur à la Nouvelle-Orléans, le général Butler devait réaliser en grande partie l’œuvre d’émancipation que son prédécesseur avait annoncée aux Louisianais comme inévitable. Déjà la société tout entière était en voie de désorganisation : l’esclavage ne se maintenait plus que par la force de l’habitude et, loin d’enrichir les maîtres, ne servait plus qu’à hâter leur ruine. On sait que les planteurs, endettés avant la guerre de plus d’un milliard envers les négocians du nord, avaient trouvé plaisant d’annihiler cette lourde dette par un solennel décret ; mais cette manière expéditive de solder les comptes arriérés n’empêcha pas la guerre civile de produire immédiatement les conséquences les plus désastreuses dans toutes les plantations du sud. Le coton, qu’en Europe on eût payé au poids de l’or, ne valait plus même, dans les états confédérés, les frais d’expédition jusqu’au port d’embarquement ; le sucre louisianais, auquel un tarif protecteur assurait jadis la clientèle de tous les états du nord, ne trouvait plus qu’un nombre limité de consommateurs et se vendait à peine au quart de son prix normal. Par suite de la cherté croissante de tous les objets de luxe et d’un grand nombre de denrées de première nécessité, les dépenses des planteurs augmentaient en proportion de l’amoindrissement de leurs revenus ; de nouveau ils étaient obligés de s’adresser à des capitalistes qui leur procuraient à des taux usuraires les moyens de vivre et de continuer leurs exploitations agricoles ; la pauvreté, puis la misère, entraient dans ces demeures jadis si luxueuses. Pour comble de malheur, les levées du fleuves, mal entretenues pendant cette année de discordes, avaient cédé sur plusieurs points à la pression des crues, et les eaux débordées avaient ravagé les campagnes. Dans