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respirer la ligne de distance en distance ; mais le train ne tarde point à s’engager sous le premier tunnel. Envisagé dans son ensemble, le Metropolitan railway ressemble assez bien à un serpent dont la tête et la queue seraient exposées à fleur de terre, et dont quelques anneaux se soulèveraient de distance en distance, tandis que toute la grande longueur du reptile plongerait ténébreusement sous le sol. À peine le voyageur a-t-il eu le temps de s’apercevoir de la nuit que le sifflet retentit aigrement sous les voûtes sombres et que le train s’arrête à la station de King’s-Cross. Ici le jour reparaît. La lumière descend dans ces lieux bas d’un toit de verre qui semble fort élevé, mais qui ne dépasse guère en réalité le niveau de la rue. Ce toit prend d’ailleurs toutes les formes qui peuvent le mieux aider à la transparence ; c’est ainsi qu’il se déploie à l’une des extrémités en un immense éventail. Sorti un instant de l’ombre, le train va rentrer sous terre pour continuer son voyage. D’après l’expérience que j’avais acquise dans les tunnels des autres chemins de fer, je m’attendais à être suffoqué par la vapeur et la fumée sous ces longues voûtes caverneuses. Quelle fut ma surprise de voir qu’il n’en était nullement ainsi ! Les locomotives du Metropolitan railway ont été construites sur un nouveau plan : elles consument elles-mêmes leur fumée et leur vapeur ; une des difficultés de l’application de ce système, m’a-t-on dit, a été d’adapter ces machines à la fois au service des tunnels et au service en plein air. À mesure que le passage s’étend sous les galeries ténébreuses, on commence à subir l’impression des lieux. Le phénomène de la nuit, qui semble devoir être partout le même, en ce sens qu’il est toujours la privation de la lumière, se montre néanmoins sous des traits bien différens, suivant qu’on l’observe à la surface ou dans les entrailles de la terre. Dans le premier cas, les endroits les plus obscurs se montrent toutefois pénétrés par les splendeurs glacées des espaces célestes, tandis que dans le second l’écrasante intensité des ténèbres, l’humidité des voûtes et les odeurs terreuses du milieu qu’on parcourt revêtent un air farouche. On dirait volontiers des ombres voyageant dans un tombeau. Avec ses intervalles de nuit et de clarté, le Metropolitan railway, encore mieux que tout autre chemin de fer, représente les alternatives de la vie humaine, les obscurcissemens et les éclaircies de l’âme. Post tenebras spero lucem, se dit le voyageur absorbé dans les flancs du serpent Averne. Cette lumière, la voici en effet qui s’annonce sous la forme croissante du crépuscule. Nous sommes à Cower-street station.

C’est ici surtout qu’on peut se faire une idée de ce gigantesque travail de taupe qui s’appelle le chemin de fer métropolitain de Londres. Aux deux extrémités de la station s’ouvrent deux cavernes