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de services publics exposés au grand jour ; les faits sur lesquels le nouveau chemin de fer vient d’appeler l’attention des Anglais nous indiquent un nouvel aspect des cités modernes. Toute ville à l’air libre se trouve doublée d’une autre ville souterraine, l’une communiquant en quelque sorte la vie à l’autre par une multitude d’appareils invisibles. Toute grande cité a, comme disent les anatomistes, ses organes intérieurs et ses organes extérieurs. Pour se faire une idée des obstacles qui attendaient sous terre les ouvriers du Metropolitan railway, il faut savoir que chaque maison de Londres a chez elle l’eau et très souvent le gaz. Il existe dans la capitale britannique huit monstrueux réservoirs (waterworks), fournissant chaque jour 88 millions de gallons d’eau[1], conduite à travers toute la ville par des tuyaux de fonte qui s’étendent en se ramifiant sur un espace de 2,530 milles. On a calculé que le géant London épuisait par jour un lac de 60 acres de surface sur six pieds de profondeur. La consommation du gaz n’est pas moins énorme : la longueur totale des gros tuyaux posés sous terre par treize compagnies est de 1,750 milles, auxquels il faut ajouter de 4 à 500 milles pour les tuyaux d’embranchement. Dans quelques endroits, ces divers conduits se croisent, se touchent et se serrent les uns contre les autres au point de ne pas laisser entre eux l’épaisseur d’un rat. Avant de pratiquer les grandes coupures (cuttings), les ouvriers eurent naturellement à détourner ces organes souterrains, à peu près comme dans certaines incisions la main savante et délicate du chirurgien écarte avec soin les nerfs et les artères qui se rencontrent sur le passage du scalpel. Il n’y a guère de chemin de fer qui ait présenté plus de difficultés, malgré le peu d’étendue de la ligne, — moins de 4 milles.

Quelle entreprise de ce genre se montre exempte d’accidens ? Le Metropolitan railway en rencontra de plus d’une sorte, depuis le jour où une locomotive, ayant pris, si l’on peut ainsi dire, le mors aux dents, vint se plonger dans un tas de décombres jusqu’au jour, plus triste encore, où les travaux intérieurs fuient envahis par les eaux. La voie souterraine avait un voisin dangereux, et ce voisin était l’égout de la Fleet (Fleet sewer). Avant d’être un égout, la Fleet avait été anciennement une rivière, et même une rivière navigable. Non loin de l’endroit où était jadis Fleet market se trouve encore Sea-coal lane[2], une ruelle ainsi nommée en souvenir des barques qui venaient décharger là du charbon de terre. Une autre ruelle est appelée Turn-again-lane (retournez), parce que le passant assez étourdi pour s’y aventurer rencontrait au bout un cours d’eau, et était ainsi obligé de revenir sur ses pas. Avec le temps,

  1. Un gallon représente dans nos mesures françaises plus de 4 litres.
  2. Ruelle de la Houille.