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reconnaîtra qu’elles ont été surtout construites pour défendre le for intérieur contre l’indiscrète curiosité des étrangers. En général, l’Anglais ne veut point de voisins, c’est-à-dire de colocataires ; il hait, comme il le dit lui-même, les antipodes dans sa maison, et il ne veut point qu’on marche au-dessus de sa tête. Il en résulte que tous ceux qui en ont le moyen louent ou possèdent une maison à eux dans laquelle ils renferment leurs pénates. La physionomie de ces demeures, presque toutes construites d’après le même modèle, indique assez le but que s’est proposé l’architecte. Dans certains quartiers de la ville, ces habitations se trouvent masquées sur le devant par un jardin (front-garden) qui les isole complètement derrière un rideau de feuillage. Le plus souvent elles ne se montrent toutefois séparées du trottoir que par une grille ; mais cette grille est la limite sacrée qui protège l’enceinte de la propriété individuelle. Derrière cette barrière s’ouvre dans la pierre une sorte de fosse ou de tranchée qui découvre le bas de la maison ; ce rez-de-chaussée, placé au-dessous du niveau de la rue (underground floor), respire en quelque sorte par des fenêtres le plus ordinairement garnies de barreaux de fer. Là sont placés les cuisines, les offices et la chambre à manger des servantes. Le charbon de terre et les autres provisions descendent par un escalier indépendant qui communique d’ordinaire avec ces lieux bas d’où l’on ne voit les passans dans la rue que jusqu’à mi-corps ; il y en a même d’où l’on ne distingue que des pieds marchant sur la dalle des trottoirs. L’architecte a eu évidemment l’intention de séparer le service inférieur des autres fonctions de la vie domestique. Un autre escalier ou perron de pierres blanches, lavé, frotté chaque jour avec un soin minutieux, et jeté comme un pont-levis sur le fossé où se trouvent les offices, conduit à la porte des maîtres de la maison. À partir de là s’élèvent en général trois étages ; au premier se trouvent le salon et la salle à manger, au second les chambres à coucher, au troisième ou sous les combles les chambres des servantes. Toutes les fenêtres se montrent voilées à l’intérieur par de grands rideaux qui s’embrassent étroitement, ne laissant apercevoir de temps en temps, entre leurs plis, qu’une petite table sur laquelle rayonne une grosse Bible dorée sur tranche. Je trace ici le portrait de ce qu’on pourrait appeler les maisons bourgeoises : les maisons d’ouvriers sont un peu construites sur un autre modèle ; mais dans tous les cas elles dérobent beaucoup plus qu’ailleurs le secret de leurs joies ou de leurs misères.

En murant ainsi leur intérieur, les Anglais avaient compté jusqu’à ce jour sans les chemins de fer et sans les wagons. Les maisons, bâties d’après un plan qui s’adapte merveilleusement aux mœurs du pays, opposaient des barrières victorieuses à ceux qui les examinent de bas en haut et sur le devant de la rue ; en sera-t-il de même