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Innocent le comprit, et sans se révolter, sans couvrir non plus de son consentement des actes qui n’étaient à ses yeux qu’une folie sacrilège, il répondit qu’il ne s’opposerait point à ce que d’autres que lui pouvaient juger utile au salut commun, mais qu’il y mettait pour condition que la cérémonie n’eût point un caractère public. C’était se tirer habilement d’un piège, car les païens, sur sa réponse, ne pouvaient accuser les chrétiens de comploter leur ruine et d’être d’intelligence avec l’ennemi, et d’un autre côté l’évêque était bien sûr qu’aucun chrétien ne se souillerait par sa présence à de telles solennités. Cependant que devenait, avec cette condition, le concours du sénat, que l’aruspicine voulait unanime? Les chrétiens n’avaient point à s’en inquiéter, et leur évêque ne leur imposerait jamais une obligation qui équivalait à l’apostasie. Tel fut l’avis d’Innocent. On se demande ce que fit Pompéianus, dont la situation était rendue plus critique par l’habile conduite du prêtre. Les historiens ne s’accordent pas à ce sujet. Un écrivain chrétien affirme que les sacrifices eurent lieu et ne produisirent rien ; un païen au contraire fait entendre que Pompéianus y renonça, et renvoya les aruspices toscans. Si opposés que soient ces témoignages, on peut les concilier en admettant que les choses se pratiquèrent, mais non publiquement, aux termes des rites, ce qui enlevait à l’incantation son efficacité, de sorte que les chrétiens purent dire aux païens: « Vos aruspices sont des imposteurs, » et les païens répondre qu’on leur avait refusé d’agir. La question restait entière.

Cependant aucun secours ne venait de Ravenne, aucun n’était sérieusement promis, et les communications entre les deux capitales devenaient chaque jour plus difficiles et plus rares. Abandonnée par le gouvernement impérial, Rome fut contrainte d’aviser elle-même à son salut. Le sénat résolut d’envoyer une ambassade au camp des Goths. On choisit pour en faire partie deux hauts personnages, illustrés par de grands emplois, Basilius, Espagnol de naissance et préfet de la ville quelques années auparavant, et un ancien tribun des notaires, nommé Jean, homme modéré, conciliant et personnellement connu d’Alaric. Sortis des murs avec l’appareil convenable, ils se présentèrent au camp des Goths : là, ajoute l’historien principal de ces faits, ils purent se convaincre que c’était bien Alaric qui commandait cette armée, comme beaucoup l’avaient cru, et que Rome avait en face d’elle le plus redoutable des Barbares. Les envoyés exposèrent avec calme et fermeté la mission qu’ils tenaient de leurs concitoyens. Le sénat faisait dire qu’il souhaitait la paix, mais qu’il était prêt pour la guerre, que tout le peuple, un peuple innombrable, était armé, exercé au maniement du fer, et ne demandait qu’à livrer bataille. Alaric jusqu’alors avait écouté l’orateur sans l’interrompre; mais à ce dernier mot il ne