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encore à propos de l’expliquer et de le défendre, nous n’en dirons pas plus ici, nous bornant à protester contre la doctrine assez répandue qu’il faut choisir entre deux extrémités, et que l’extrémité appelée liberté, peu faite pour les hommes, ne l’est pas du tout pour la France. Cette alternative dans laquelle des écrivains nous enferment ne saurait être le fond de l’histoire des nations. L’histoire n’est pas si absolue. Malgré tout ce qu’on a pu dire contre les milieux, tant qu’il y aura une sagesse humaine, elle cherchera à s’y placer, et le but de la politique sera la liberté sans l’anarchie et l’ordre sans le despotisme. « La sagesse de tout gouvernement, quel qu’il soit, consiste à trouver le juste milieu entre ces deux extrémités affreuses, dans une liberté modérée par la seule autorité des lois. » Ainsi parlait Fénelon. « Mais les hommes, ajoutait-il, aveugles et ennemis d’eux-mêmes, ne sauraient se borner à ce juste milieu. » Fénelon se décourageait donc aussitôt qu’il avait parlé ; il disait ce que devait faire un gouvernement sage, et ne croyait pas à son succès. Que de gens, sans être des Fénelon, prennent ainsi le désespoir pour sagesse ! On aime à déclarer ce qu’on approuve impossible pour se dispenser de le faire. Rien n’est commode comme la conception du bien sans le courage de l’entreprendre. Cela fait honneur à l’esprit et flatte la faiblesse. On juge les hommes incapables de ce qu’on leur souhaite, et tout est dit.

La corruption est un des grands mots qu’on met en avant. Tantôt ce sont les hommes qui sont trop corrompus pour la liberté, tantôt c’est la liberté même qui est une école de corruption. Je suis porté à croire que plus l’honnêteté serait rare parmi les hommes, plus il faudrait que l’honnêteté fût dans les lois. Les bonnes lois ne peuvent suppléer les bonnes mœurs ; mais cela vaut encore mieux que les mauvaises mœurs avec des lois mauvaises. Si les caractères sont faibles, si les consciences sont faciles, quel frein plus nécessaire que la publicité ? Quand les magistrats ont-ils plus besoin d’une responsabilité écrite que lorsque la responsabilité non écrite ne les touche plus ? L’honneur militaire ne vit que dans les armées ; l’honneur politique ne peut exister que dans une société politique, et il n’y a point de société politique sous le gouvernement absolu d’un seul. Relisez les mémoires de Saint-Simon, lisez ceux du marquis d’Argenson, ceux mêmes du modeste Barbier, qui enregistre les abus, les violences et les bassesses, en professant qu’il est du devoir des gens sensés de tolérer tout cela, et vous nous direz si la corruption des sujets de la monarchie absolue était une solide garantie de sa durée. Vous nous direz si c’est la liberté qui est corruptrice, et si l’absolutisme est à la fois l’exemple et l’appui de la morale. La corruption, dit-on, est la maladie des états libres. Il est vrai, mais elle est la santé des monarchies absolues. Les uns en